Pangu, le géant qui créa le monde : naissance du ciel et de la terre

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Avant que les hommes n’écrivent des traitĂ©s de cosmologie, ils ont racontĂ© la naissance du monde avec des gĂ©ants, des Ɠufs et des forces invisibles. Parmi ces rĂ©cits, celui de Pangu, le gĂ©ant qui crĂ©a le monde, occupe une place singuliĂšre dans la mythologie chinoise. Il dĂ©crit un univers d’abord rĂ©duit Ă  un Ɠuf opaque, traversĂ© par le yin et le yang, puis dĂ©chirĂ© par la hache d’un ĂȘtre colossal qui sĂ©pare le ciel et la terre. Ce n’est pas une simple fable : c’est la mĂ©moire condensĂ©e d’un peuple sur l’origine de l’ordre, du temps et de l’espace.

Ce rĂ©cit cosmogonique n’est pas isolĂ©. Il survit encore chez certaines minoritĂ©s du sud de la Chine, chez les Miao, les Yao ou les Li, comme un cƓur ancien sous la peau moderne de la civilisation. À travers lui, se lisent les obsessions de l’humanitĂ© : peur du chaos, dĂ©sir de structure, fascination pour le sacrifice crĂ©ateur. Le corps du gĂ©ant se dissout en montagnes, fleuves, vents et Ă©toiles. Sa mort fonde le monde. Son souffle devient tempĂȘte, ses yeux se transforment en soleil et en lune, son sang en riviĂšres. Dans ce geste, l’univers cesse d’ĂȘtre un bloc indiffĂ©renciĂ© et se fragmente en Ă©lĂ©ments distincts, nommables, maĂźtrisables. Aujourd’hui encore, alors que satellites et tĂ©lescopes sondent l’espace, cette ancienne histoire continue de parler de ce que les Ă©quations ne disent pas : la nĂ©cessitĂ© de donner du sens Ă  la naissance du rĂ©el.

En bref

  • Pangu est une figure crĂ©atrice majeure de la mythologie chinoise, nĂ© d’un Ɠuf cosmique traversĂ© par le yin et le yang.
  • Son geste central : sĂ©parer le ciel et la terre, mettre fin au chaos et instaurer un ordre stable dans l’univers.
  • Sa croissance et son sacrifice transforment son corps en Ă©lĂ©ments du monde : astres, montagnes, vents, pluies, mĂ©taux, vĂ©gĂ©tation.
  • Le mythe de Pangu rĂ©sonne avec d’autres rĂ©cits de gĂ©ants crĂ©ateurs et de dieux-cadavres dans de nombreuses cultures.
  • InterprĂ©tĂ© symboliquement, il dĂ©crit la naissance de la diffĂ©renciation, de la loi et du temps, bien plus qu’un simple rĂ©cit de « magie ».

La cosmogonie de Pangu : naissance du ciel et de la terre dans l’Ɠuf primordial

Le mythe de Pangu, le gĂ©ant qui crĂ©a le monde, commence dans une obscuritĂ© totale. Pas de lumiĂšre, pas de forme, pas de son. L’univers tient dans un seul objet : un Ɠuf cosmique, masse compacte oĂč le ciel et la terre ne sont pas encore distinguĂ©s. Dans cette sphĂšre close se mĂȘlent le yin (obscur, lourd, passif) et le yang (clair, lĂ©ger, actif). Les anciens n’avaient pas besoin de laboratoire pour comprendre que toute chose naĂźt d’équilibres instables entre forces opposĂ©es.

Au cƓur de cet Ɠuf, Pangu se forme lentement. Les traditions Ă©voquent une durĂ©e vertigineuse : 18 000 ans de gestation silencieuse. Ce chiffre n’est pas un calcul scientifique, mais un symbole d’échelle cosmique. Il marque la distance entre le temps humain, mesurĂ© en vies, et le temps cosmique, mesurĂ© en cycles de crĂ©ation. LĂ  oĂč un mortel compte ses jours, le mythe empile des millĂ©naires pour Ă©voquer la maturation lente de l’univers avant toute apparition de forme.

Lorsque Pangu se rĂ©veille, il est dĂ©jĂ  un gĂ©ant primordial, prisonnier d’un espace trop Ă©troit. Son geste fondateur est brutal : il forge une hache, lĂšve le bras, et fracturent l’Ɠuf en deux. La partie claire, lĂ©gĂšre, ascendante, s’élĂšve et devient le ciel. La partie dense, lourde, descend et constitue la terre. La sĂ©paration n’est pas seulement physique. Elle marque le passage du chaos indiffĂ©renciĂ© Ă  un univers structurĂ©e en niveaux, directions, haut et bas, proche et lointain.

La cosmogonie insiste sur un dĂ©tail : rien n’est acquis d’emblĂ©e. Au moment de la fracture, ciel et terre restent instables, encore proches, encore menaçants. Pour Ă©viter qu’ils ne se referment, Pangu se dresse entre eux. Chaque jour, il grandit d’un zhang – environ 3,5 mĂštres – tandis que le ciel s’élĂšve Ă  la mĂȘme vitesse et que la terre s’épaissit. Cette croissance se poursuit pendant 18 000 ans, Ă©cho Ă  la durĂ©e de sa gestation. Le monde ne naĂźt donc pas d’un instant unique, mais d’un long travail de sĂ©paration et de consolidation.

Le symbolisme est net : l’ordre cosmique n’est pas un cadeau, c’est une tension permanente. Pangu incarne l’effort de maintenir Ă  distance les forces contraires pour empĂȘcher le retour au chaos. Le ciel, s’il retombait, Ă©craserait tout. La terre, si elle montait, abolirait toute respiration. Entre les deux, le gĂ©ant est Ă  la fois pilier et mesure. Sa taille indique l’écart entre les plans, sa prĂ©sence garantit leur sĂ©paration.

Ce rĂ©cit, transmis notamment dans certaines rĂ©gions du sud de la Chine, notamment parmi les Miao, les Yao ou les Li, fonctionne comme une charte cosmique. Il parle d’un univers nĂ© de la dualitĂ© plutĂŽt que d’une guerre des dieux. LĂ  oĂč d’autres mythologies racontent la crĂ©ation comme une victoire sanglante, Pangu apparaĂźt comme un artisan cosmique plus que comme un conquĂ©rant. Le conflit se joue non entre dieux rivaux, mais entre forme et informe.

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Comprendre cette cosmogonie, c’est saisir comment une civilisation conçoit le monde : non pas comme un chaos domptĂ© une fois pour toutes, mais comme un Ă©quilibre fragile, arrachĂ© Ă  la confusion par un effort continu. Le geste de Pangu est Ă  la fois crĂ©ation et sĂ©paration, acte qui inaugure la distance nĂ©cessaire pour penser, nommer, construire.

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Le corps de Pangu comme matrice du monde : un sacrifice créateur

Lorsque la distance entre le ciel et la terre devient irrĂ©versible, le rĂŽle de Pangu s’achĂšve. Le gĂ©ant peut enfin se reposer. C’est alors que le mythe bascule : aprĂšs ĂȘtre devenu soutien du cosmos, Pangu devient matiĂšre du cosmos. Il s’allonge et meurt. Sa mort n’est pas une fin, mais une mĂ©tamorphose. Chaque fragment de son ĂȘtre se convertit en une parcelle du monde.

Le souffle de Pangu se transforme en vents et en nuages. Sa voix devient tonnerre. Son Ɠil gauche s’embrase en soleil, son Ɠil droit s’apaise en lune. Les anciens expliquent ainsi pourquoi deux astres, et non un seul, dominent le ciel. La dualitĂ© initiale du yin et du yang se prolonge dans ce couple lumineux : jour et nuit, Ă©clat brĂ»lant et lumiĂšre froide.

Ses cheveux et ses poils de barbe se dispersent en une multitude d’étoiles, fixĂ©es au firmament comme des traces de la grandeur passĂ©e du gĂ©ant. Son sang devient fleuves et riviĂšres, canaux de vie parcourant la terre. Ses os se changent en montagnes, masses inĂ©branlables dressĂ©es comme les vestiges de sa charpente titanesque. Sa chair donne naissance aux plantes et aux arbres, Ă  tout ce qui pousse, croĂźt, se nourrit et nourrit.

Son squelette minĂ©ral se subdivise en mĂ©taux, roches et pierres prĂ©cieuses. Dans cette perspective, extraire du minerai revient Ă  fouiller le corps d’un ancĂȘtre cosmique. Sa transpiration elle-mĂȘme n’est pas oubliĂ©e : elle se condense en pluie et en rosĂ©e, assurant la circulation permanente de l’eau entre ciel et terre. L’univers entier devient un vaste organisme reconstruit Ă  partir d’un seul ĂȘtre.

Le schĂ©ma est clair : le monde n’est pas fabriquĂ© Ă  distance par un dieu intact. Il est le rĂ©sultat d’un sacrifice. Le crĂ©ateur s’épuise, se fragmente et disparaĂźt pour que tout le reste existe. Ce motif se retrouve ailleurs : le corps du gĂ©ant Ymir dans la mythologie nordique, celui de Tiamat dans certains rĂ©cits mĂ©sopotamiens. Pangu rejoint cette lignĂ©e des corps cosmiques dĂ©membrĂ©s, oĂč la crĂ©ation ne se sĂ©pare jamais totalement de la destruction.

Dans une perspective symbolique, ce sacrifice dit deux choses. D’abord, que le monde est perçu comme vivant, issu d’une vie prĂ©cĂ©dente plus vaste encore. Ensuite, que toute organisation nouvelle s’obtient au prix d’une rupture, d’une perte, d’une mort. La mĂ©moire humaine conserve ainsi, sous forme de mythe, l’idĂ©e que la construction de toute civilisation exige des renoncements et des coĂ»ts souvent invisibles.

Pour rendre ce processus plus lisible, il peut ĂȘtre utile de le condenser dans un schĂ©ma comparatif :

Partie de PanguÉlĂ©ment du monde crééDimension symbolique principale
SouffleVent, nuagesCirculation, impermanence, respiration du cosmos
VoixTonnerrePuissance, loi, avertissement céleste
ƒil gauche / ƒil droitSoleil / LuneDualitĂ©, rythme du temps, alternance jour-nuit
Cheveux, moustachesÉtoilesMultiplicitĂ©, repĂšres, mĂ©moire du gĂ©ant
SangFleuves et riviÚresVie, mouvement, énergie vitale
OsMontagnes, rochersStabilité, structure, colonne vertébrale du monde
ChairPlantes, arbresFécondité, nourriture, régénération
TranspirationPluie, rosĂ©eCycle de l’eau, fertilisation, soin du monde

Chaque correspondance rappelle que, pour les anciens, la frontiĂšre entre corps et cosmos est mince. Le gĂ©ant n’est pas un simple personnage, mais une carte vivante de l’univers. LĂ  oĂč la pensĂ©e moderne sĂ©pare le biologique, le gĂ©ologique et le mĂ©tĂ©orologique, le mythe de Pangu les tient ensemble dans une seule figure. Il affirme ainsi une vĂ©ritĂ© sobre : le monde est unifiĂ© par des liens plus profonds que ceux que les catĂ©gories modernes laissent voir.

Les reprĂ©sentations contemporaines de cette mĂ©tamorphose, dans les documentaires et les animations, ne font que traduire visuellement ce que le rĂ©cit originel portait dĂ©jĂ  : l’idĂ©e d’un univers bĂąti sur le don total d’un ĂȘtre unique.

Yin, yang et ordre cosmique : la logique symbolique de la création selon Pangu

DerriĂšre les images de hache, d’Ɠuf et de gĂ©ant, le mythe de Pangu repose sur une architecture conceptuelle prĂ©cise : celle du yin et du yang. Dans ce rĂ©cit, Pangu naĂźt de la rencontre, ou plutĂŽt de la condensation, de ces deux forces primordiales. Elles ne sont pas des « Ă©nergies magiques » au sens moderne, mais des principes d’organisation du rĂ©el : obscuritĂ© et lumiĂšre, passivitĂ© et activitĂ©, profondeur et Ă©lĂ©vation.

Avant sa naissance, ces deux pĂŽles coexistent dans une indistinction totale. L’Ɠuf cosmique n’est pas seulement une coquille : il symbolise un Ă©tat dans lequel aucune diffĂ©rence n’est encore tracĂ©e. La crĂ©ation n’advient qu’au moment oĂč ces forces se distinguent, se sĂ©parent, se hiĂ©rarchisent. Le yang monte, le yin descend. Le ciel s’élĂšve, la terre s’épaissit. Pangu, placĂ© entre les deux, est le mĂ©diateur qui assure que cette sĂ©paration reste stable.

Dans cette perspective, le geste du gĂ©ant ne consiste pas Ă  « inventer » quelque chose Ă  partir de rien, mais Ă  ordonner ce qui existe dĂ©jĂ  sous forme confuse. L’univers n’est pas créé ex nihilo : il est mis en forme. Cette nuance est essentielle. Elle rĂ©vĂšle une vision du monde oĂč le dĂ©sordre n’est pas extĂ©rieur Ă  la crĂ©ation, mais son point de dĂ©part nĂ©cessaire. Le rĂŽle du principe crĂ©ateur est de tracer des limites, d’établir des hauteurs, de dĂ©finir des directions.

Ce schĂ©ma se retrouve ensuite dans de nombreux domaines de la culture chinoise : mĂ©decine traditionnelle, art, philosophie. Partout, l’équilibre entre yin et yang apparaĂźt comme la condition de la santĂ©, de la justice, de l’harmonie. Le mythe de Pangu est en quelque sorte la scĂšne originelle oĂč cet Ă©quilibre est instaurĂ© Ă  l’échelle du cosmos. LĂ  oĂč un mĂ©decin parlera d’organes, un stratĂšge de territoires, un philosophe de voies, le rĂ©cit cosmogonique parle de ciel et de terre, mais la logique reste la mĂȘme.

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Cette logique entre en rĂ©sonance avec les prĂ©occupations modernes. Les sciences dĂ©crivent une diffĂ©renciation progressive de l’univers : sĂ©paration de la matiĂšre et du rayonnement, formation des galaxies, structuration des planĂštes. Le langage diffĂšre, mais l’idĂ©e d’un ordre Ă©mergeant d’un chaos initial demeure. Le mythe ne fournit pas un modĂšle scientifique, mais il enregistre dans un autre langage la mĂȘme intuition fondamentale : l’univers est passĂ© de l’indistinct au structurĂ©.

Pour un lecteur contemporain, l’image de Pangu qui grandit d’un zhang par jour pendant 18 000 ans peut paraĂźtre naĂŻve. Elle ne l’est pas. Elle encode l’idĂ©e que la mise en ordre du monde est un processus graduel, pas un claquement de doigts. Elle enseigne, Ă  sa maniĂšre, la patience cosmique : l’univers ne se stabilise pas sans durĂ©e, sans effort, sans rĂ©sistance. Ce que des modĂšles physiques dĂ©crivent aujourd’hui, ce rĂ©cit l’exprime par la croissance d’un corps colossal.

Un dĂ©tail mĂ©rite attention : Pangu ne rĂšgne pas sur le monde qu’il a créé. Il ne devient ni roi cĂ©leste, ni juge Ă©ternel. Il se dissout. L’ordre cosmique ne repose pas sur un souverain permanent, mais sur une structure intĂ©riorisĂ©e au monde lui-mĂȘme. Une fois le ciel et la terre sĂ©parĂ©s, une fois le yin et le yang organisĂ©s, le crĂ©ateur peut disparaĂźtre. La stabilitĂ© ne dĂ©pend plus d’une prĂ©sence, mais d’un Ă©quilibre.

Ce dĂ©placement a des consĂ©quences philosophiques. Il rappelle qu’un vĂ©ritable ordre n’est pas celui qui dĂ©pend d’un maĂźtre, mais celui qui tient par la cohĂ©rence interne de ses Ă©lĂ©ments. Le mythe de Pangu parle de cosmologie, mais il suggĂšre dĂ©jĂ  une leçon politique et Ă©thique : un systĂšme solide ne repose pas sur l’arbitraire d’un pouvoir, mais sur une architecture subtile de forces Ă©quilibrĂ©es.

Vue sous cet angle, la lĂ©gende devient plus qu’une histoire d’origine. Elle propose une grammaire du rĂ©el, transmissible d’époque en Ă©poque, pour penser les crises, les recompositions, les effondrements. Quand le monde humain semble replonger dans le chaos, ce rĂ©cit rappelle que toute remontĂ©e vers l’ordre suppose une sĂ©paration claire, un effort prolongĂ©, et parfois un sacrifice. C’est ainsi que l’image de Pangu continue de peser sur la mĂ©moire humaine : comme le symbole d’un ordre arrachĂ© au dĂ©sordre et maintenu par une tension sans relĂąche.

Les analyses modernes de ce symbolisme, qu’elles soient vidĂ©os, ouvrages ou confĂ©rences, ne font qu’actualiser ce que les anciens avaient cristallisĂ© dans une seule figure : la nĂ©cessitĂ© d’articuler les contraires pour que le monde tienne debout.

Comparaisons avec d’autres gĂ©ants crĂ©ateurs : Pangu dans le concert des mythes du monde

Le rĂ©cit de Pangu, le gĂ©ant qui crĂ©a le monde, ne flotte pas isolĂ© dans la mĂ©moire humaine. Il rejoint une constellation de mythes oĂč des ĂȘtres titanesques fondent le cosmos par leur corps ou leur geste. Les comparer ne sert pas Ă  les niveler, mais Ă  en dĂ©gager les lignes communes et les particularitĂ©s. Sous chaque gĂ©ant, un peuple. Sous chaque peuple, une peur diffĂ©rente face au chaos.

Dans la tradition nordique, le gĂ©ant Ymir occupe une place qui rappelle Pangu. NĂ© d’un chaos glacĂ© et brĂ»lant, il est mis Ă  mort par Odin et ses frĂšres. Son corps sert de matĂ©riau : chair devenue terre, os transformĂ©s en montagnes, sang converti en mers. Comme pour Pangu, le monde est littĂ©ralement un cadavre rĂ©organisĂ©. Mais ici, la scĂšne est violente, dominĂ©e par un meurtre divin. L’ordre naĂźt d’un acte de guerre, pas d’un effort prolongĂ© de sĂ©paration.

En MĂ©sopotamie, certaines versions de la mythologie mettent en scĂšne la dĂ©esse Tiamat, incarnation des eaux du chaos, tuĂ©e par Marduk. Son corps fendu devient voĂ»te cĂ©leste et fond de l’abĂźme. LĂ  encore, la crĂ©ation repose sur une dislocation d’un corps primordial. La diffĂ©rence avec Pangu tient au rĂŽle de la violence et de la souverainetĂ© : un dieu triomphant impose un nouvel ordre, alors que dans le mythe chinois, le crĂ©ateur ne triomphe de personne. Il se contente de porter, puis de se dissoudre.

Au Japon, la paire divine Izanagi et Izanami façonne les Ăźles en remuant la mer primordiale avec une lance. Ici, il n’y a ni cadavre gĂ©ant, ni dĂ©membrement, mais un mĂȘme passage de la masse indistincte Ă  la forme diffĂ©renciĂ©e. Dans les mythes grecs, les Titans et les gĂ©ants participent aussi aux bouleversements cosmiques, mais rarement de façon aussi centrale dans la crĂ©ation du monde lui-mĂȘme.

Ce jeu de miroirs met en lumiÚre ce qui fait la singularité de Pangu :

  • Un univers initial contenu dans un Ɠuf cosmique, image peu frĂ©quente ailleurs Ă  cette Ă©chelle.
  • Un crĂ©ateur nĂ© de la rencontre du yin et du yang, forces impersonnelles plutĂŽt que volontĂ©s subjectives.
  • Une crĂ©ation par sĂ©paration graduelle plus que par combat ou dĂ©cret.
  • Un crĂ©ateur qui se sacrifie sans ennemi, se transformant paisiblement en monde.

Ces convergences et diffĂ©rences rĂ©vĂšlent des choix profonds. Certains peuples ont vu la naissance du monde comme une victoire sur un adversaire monstrueux. D’autres, comme une mise en forme patiente d’un chaos neutre. Le mythe de Pangu appartient clairement Ă  ce second groupe. Il tĂ©moigne d’une vision oĂč le cosmos n’est pas le rĂ©sultat d’une bataille permanente, mais d’un Ă©quilibre arrachĂ© Ă  l’informe.

Pour un lecteur de 2025 entourĂ© de rĂ©cits apocalyptiques, Ă©cologiques ou technologiques, cette comparaison est instructive. Les nouveaux « gĂ©ants » de l’époque – multinationales, systĂšmes financiers, rĂ©seaux numĂ©riques – crĂ©ent eux aussi des mondes. Ils redessinent l’espace, le temps, les relations. Mais Ă  la diffĂ©rence de Pangu, ils cherchent souvent Ă  perdurer, Ă  contrĂŽler, Ă  se reproduire. Le gĂ©ant chinois, lui, disparaĂźt dans ce qu’il crĂ©e. Il ne cherche pas Ă  rester maĂźtre du monde qu’il fonde.

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Dans ce contraste, une question se dessine : qu’est-ce qu’un pouvoir lĂ©gitime de crĂ©ation ? Celui qui se sacrifie pour rendre le monde habitable ou celui qui se maintient au sommet de la structure qu’il a Ă©difiĂ©e ? Les anciens n’avaient pas besoin de thĂ©orie politique pour poser le problĂšme. Ils ont utilisĂ© la figure d’un gĂ©ant, d’une hache et d’un Ɠuf pour l’inscrire dans la mĂ©moire des gĂ©nĂ©rations.

En observant Pangu aux cĂŽtĂ©s d’Ymir, de Tiamat ou d’autres figures cosmiques, la mĂ©moire humaine apparaĂźt pour ce qu’elle est : une sĂ©rie de variations sur les mĂȘmes angoisses. D’oĂč venons-nous ? Combien cela a-t-il coĂ»tĂ© ? Et qui, ou quoi, a payĂ© le prix de notre monde ordonnĂ© ? Les rĂ©ponses diffĂšrent, mais la question reste la mĂȘme, martelĂ©e d’ñge en Ăąge.

Pangu dans la mémoire chinoise et les symboles contemporains

Le mythe de Pangu, le gĂ©ant qui crĂ©a le monde, n’est pas restĂ© figĂ© dans un passĂ© lointain. Il a circulĂ©, s’est fragmentĂ©, a Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ©, oubliĂ© puis rĂ©activĂ©. Des textes lettrĂ©s aux traditions orales des minoritĂ©s, des fresques de temples aux manuels scolaires, son empreinte change de forme mais persiste en profondeur.

Dans certaines rĂ©gions du sud de la Chine, des communautĂ©s comme les Miao, les Yao ou les Li ont conservĂ© des chants et des rĂ©cits oĂč Pangu garde un rĂŽle central. Ces versions locales mettent parfois l’accent sur des dĂ©tails diffĂ©rents : durĂ©e de la croissance, nature de la hache, effets du sacrifice. Elles rappellent que le mythe n’est pas un bloc unique, mais un corps vivant de variantes, adaptĂ© aux paysages, aux langues, aux prĂ©occupations de chaque groupe.

Dans la culture dominante, Pangu a connu une autre trajectoire. TantĂŽt intĂ©grĂ© Ă  des compilations taoĂŻstes, tantĂŽt interprĂ©tĂ© comme une allĂ©gorie philosophique du yin et du yang, il a Ă©tĂ© progressivement rĂ©duit, pour beaucoup d’urbains, Ă  une « lĂ©gende pour enfants ». Le gĂ©ant qui fend l’Ɠuf, le soleil dans un Ɠil, la lune dans l’autre : autant d’images simplifiĂ©es, Ă©loignĂ©es de la profondeur symbolique initiale.

Pourtant, la figure ressurgit rĂ©guliĂšrement. Dans les jeux vidĂ©o, les mangas chinois, les films d’animation, Pangu apparaĂźt comme boss final, comme titan protecteur, comme ancĂȘtre oubliĂ©. Les industries culturelles recyclent son image, parfois sans souci du sens. Mais mĂȘme ces dĂ©tournements laissent subsister une trace : celle d’un monde construit Ă  partir d’un ĂȘtre sacrifiĂ©, celle d’un Ă©quilibre fragile entre ciel et terre.

Les artistes contemporains, eux, s’emparent souvent de Pangu pour interroger la relation entre humain et cosmos. Dans certaines Ɠuvres, le gĂ©ant est reprĂ©sentĂ© allongĂ©, Ă©puisĂ©, recouvert de gratte-ciel et de pipelines, comme si son corps minĂ©ralisĂ© avait servi de fondation Ă  la modernitĂ© industrielle. D’autres le montrent en train de se rĂ©veiller Ă  nouveau, comme une menace latente de rĂ©initialisation du monde. Dans tous les cas, le symbole fonctionne : il met en tension crĂ©ation et destruction, ordre et Ă©puisement.

Pour ceux qui enseignent aujourd’hui la mythologie ou l’histoire des religions, Pangu offre un outil pĂ©dagogique prĂ©cieux. Il permet d’illustrer, en une seule figure, les grands thĂšmes de la mythologie comparĂ©e : gĂ©ants fondateurs, sacrifice crĂ©ateur, dualitĂ© originelle, corps-cosmos. Il permet aussi de rappeler que la Chine ne se rĂ©duit pas Ă  ses philosophies tardives ou Ă  ses systĂšmes politiques rĂ©cents, mais s’enracine dans un imaginaire cosmogonique aussi puissant que ceux de la MĂ©diterranĂ©e ou du Proche-Orient.

Le mythe rĂ©sonne enfin avec les inquiĂ©tudes environnementales actuelles. Si le monde est le corps d’un gĂ©ant dissous, alors polluer une riviĂšre, raser une montagne, Ă©puiser une forĂȘt revient Ă  mutilez une chair originelle. Cette lecture ne correspond pas aux prĂ©occupations premiĂšres des rĂ©cits anciens, mais elle prolonge leur logique : voir dans la nature non un stock de ressources, mais un hĂ©ritage sacrĂ©, issu d’un don irrĂ©versible.

Dans cette lumiĂšre, la lĂ©gende de Pangu n’est pas une simple curiositĂ© exotique. Elle agit comme un miroir pour une humanitĂ© qui croit avoir tout expliquĂ© par ses modĂšles scientifiques, mais qui continue de chercher des images fortes pour signifier ce qu’elle fait au monde. Le gĂ©ant qui se dresse entre ciel et terre, puis s’allonge et disparaĂźt, rappelle qu’aucun ordre ne dure sans prix, et que tout univers repose, quelque part dans sa mĂ©moire, sur un acte fondateur que l’on choisit d’honorer ou d’oublier.

Qui est Pangu dans la mythologie chinoise ?

Pangu est un ĂȘtre primordial et un gĂ©ant crĂ©ateur au cƓur d’un grand rĂ©cit cosmogonique chinois. NĂ© d’un Ɠuf cosmique oĂč se mĂȘlaient le yin et le yang, il sĂ©pare le ciel et la terre Ă  l’aide d’une hache, maintient leur distance en grandissant pendant des millĂ©naires, puis meurt. Son corps se transforme alors en Ă©lĂ©ments du monde : astres, montagnes, riviĂšres, vents, plantes et minerais.

Comment Pangu crée-t-il le ciel et la terre ?

Selon la lĂ©gende, l’univers Ă©tait d’abord contenu dans un Ɠuf primordial. En se rĂ©veillant, Pangu brise cet Ɠuf avec une hache : la partie lĂ©gĂšre et claire s’élĂšve pour former le ciel, la partie lourde et sombre s’abaisse pour devenir la terre. Pour empĂȘcher qu’ils ne se rejoignent, il se place entre eux et grandit chaque jour, consolidant ainsi l’ordre cosmique.

Que devient le corps de Pangu aprĂšs sa mort ?

AprĂšs avoir stabilisĂ© la distance entre le ciel et la terre, Pangu s’allonge et meurt. Son souffle devient vent et nuages, sa voix devient tonnerre, ses yeux se changent en soleil et en lune, ses cheveux deviennent Ă©toiles, son sang forme les fleuves, ses os deviennent montagnes et rochers, sa chair donne les plantes et sa transpiration se transforme en pluie et rosĂ©e. Le monde entier est ainsi issu de sa dĂ©pouille.

Ce mythe de crĂ©ation ressemble-t-il Ă  d’autres rĂ©cits du monde ?

Oui. On retrouve des motifs proches dans plusieurs mythologies : le gĂ©ant Ymir, dont le corps devient le monde dans la tradition nordique, ou la dĂ©esse Tiamat, dĂ©membrĂ©e par Marduk en MĂ©sopotamie. Tous ces rĂ©cits racontent une crĂ©ation Ă  partir du corps d’un ĂȘtre primordial, mais Pangu se distingue par l’importance du yin et du yang et par une crĂ©ation plus graduelle que guerriĂšre.

Pourquoi le mythe de Pangu reste-t-il important aujourd’hui ?

Parce qu’il offre une clĂ© de lecture symbolique du rapport au monde : crĂ©ation par sĂ©paration, Ă©quilibre entre forces contraires, sacrifice fondateur. Il permet de comprendre une part de la culture chinoise, de comparer les grandes cosmogonies, et de rĂ©flĂ©chir aux liens entre ordre, pouvoir et destruction. Dans un contexte de crises Ă©cologiques et culturelles, il rappelle que tout monde ordonnĂ© a un coĂ»t et une origine que la mĂ©moire ne devrait pas effacer.

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