Les anciens Égyptiens n’ont pas inventé Osiris pour raconter une belle histoire. Ils ont forgé, à travers lui, une réponse brutale à la question qui hante chaque être humain : que reste-t-il après la mort, après la trahison, après la chute du pouvoir ? Sous le masque du dieu vert à la couronne blanche, se cache bien plus qu’un souverain défunt : une architecture complète du temps, de la justice et de la résurrection. La trahison de Seth, la vengeance d’Horus et le lent travail d’Isis deviennent ainsi les trois mouvements d’un même drame : destruction, réparation, régénération.
Ce récit n’appartient pas seulement aux temples d’Abydos ni aux tombeaux de la Vallée des Rois. Il traverse encore les imaginaires modernes, des récits de héros brisés qui se relèvent, jusqu’aux discours politiques qui promettent sans cesse un « retour à l’ordre ». Osiris n’est pas seulement le maître de l’au-delà ; il est le symbole d’un pouvoir juste assassiné, d’un corps morcelé puis recomposé, d’un temps qui refuse que la mort soit le dernier mot. Face à lui, Seth incarne les forces du chaos, de la violence gratuite, de l’ambition qui détruit même ce qui la fonde. Entre ces deux pôles, Horus se tient comme l’héritier fragile, celui qui doit prouver par l’épreuve qu’il mérite la couronne, non par naissance seulement, mais par victoire sur le désordre. Ce triangle divin reste un miroir dressé devant chaque époque qui croit avoir dépassé les mythes.
En bref
- Osiris représente le cycle vie–mort–résurrection et l’archétype du souverain juste assassiné puis transfiguré.
- Seth incarne la trahison, le chaos et la violence politique qui brise l’ordre établi pour mieux régner.
- Horus symbolise l’héritier légitime qui doit, par le combat et le jugement, restaurer la justice et venger le père.
- Le mythe structure la religion funéraire égyptienne : momification, jugement des morts, promesse d’une vie renouvelée.
- Les thèmes de résurrection, sacrifice et royauté se retrouvent dans de nombreuses traditions ultérieures, jusqu’aux récits modernes.
Osiris, roi assassiné et dieu de la résurrection : sens caché d’un mythe central
Avant de devenir le maître du royaume des morts, Osiris est d’abord un roi vivant, décrit comme un souverain qui apporte aux hommes ce qu’ils n’avaient pas : l’agriculture, les lois, la régulation des violences. Derrière cette figure, une évidence se dessine : toute civilisation a besoin de projeter sur un ancêtre divin l’origine de son ordre social. Dire qu’Osiris a enseigné la culture des champs, c’est affirmer que la fertilité du Nil, les récoltes de blé et même le calendrier des crues relèvent d’un pacte sacré entre les hommes et le pouvoir.
Cette royauté n’est pas abstraite. Osiris est fils de Geb (la terre) et de Nout (le ciel) : il est l’axe qui unit le haut et le bas, l’en-haut et l’ici-bas. Coiffé de la couronne blanche surmontée de deux plumes, tenant le heka (le sceptre de commandement) et le nekhekh (le fouet de direction), il condense en son corps les signes de la domination maîtrisée. Rien, dans cette iconographie, n’est décoratif. Chaque symbole rappelle que le pouvoir doit être à la fois protection et contrainte, bienveillance et capacité de punir.
Mais c’est précisément ce pouvoir équilibré qui provoque la jalousie et la rage de Seth. Pour comprendre la portée de la trahison, il faut mesurer ce que Seth personnifie : le désert, les tempêtes, les régions étrangères, tout ce qui rompt le rythme régulier de la crue et de la sédentarité. Quand Seth prépare le coffre aux dimensions exactes d’Osiris, il ne se contente pas d’organiser un meurtre. Il fabrique un piège sur mesure, un dispositif parfaitement adapté à la vulnérabilité de son frère. Ce détail mythique parle directement aux sociétés modernes : l’ennemi le plus dangereux est souvent celui qui connaît parfaitement les contours du pouvoir qu’il veut abattre.
Le banquet où Seth promet d’offrir le coffre à celui qui y entrera est une scène de théâtre cruel. Sous des airs de jeu, la sentence est déjà prête. Osiris, confiant, se couche dans le coffre. Le couvercle se referme, cloué, scellé, puis jeté dans le Nil. La mort n’est pas ici une fatalité naturelle ; elle est un assassinat politique, préparé, dissimulé sous le masque de la convivialité. Cette nuance éclaire des siècles de coups d’État et de trahisons de palais : le chaos n’apparaît jamais sans costume.
Lorsque le corps d’Osiris dérive, jusqu’à être prisonnier d’un arbre qui l’englobe, le mythe propose une image brute : le défunt roi devient tronc, pilier, colonne de palais. Le mort soutient encore l’architecture du pouvoir humain. C’est Isis qui, en retrouvant ce corps, brise l’illusion d’une disparition totale. Mais Seth revient, découpe le cadavre en multiples fragments et les disperse à travers l’Égypte. Le morcellement n’est pas seulement une cruauté supplémentaire ; il reflète l’expérience réelle des royaumes fracassés, des corps politiques divisés, des mémoires dispersées.
Le travail obstiné d’Isis, aidée de Nephtys et d’Anubis, consiste à rassembler ces fragments, les purifier, les réassembler, puis pratiquer les premiers gestes de la momification. Ainsi, la technique funéraire des Égyptiens n’est pas un rituel arbitraire : elle imite l’acte divin par lequel un roi démembré est rendu entier. La résurrection d’Osiris n’est pas un retour aveugle à la vie physique ; c’est une métamorphose. Il ne reviendra plus dans le monde des vivants, mais règnera désormais sur l’au-delà, comme juge des morts. Un pouvoir renversé se transforme en autorité ultime sur le temps après la mort.
Dans cette première articulation du mythe, se dessine un verdict simple : tout pouvoir juste finit par être trahi, mais sa destruction peut engendrer un autre type de souveraineté, plus profonde, moins fragile que les trônes terrestres.

Seth, trahison et chaos : le visage nécessaire de la destruction
Le récit d’Osiris ne peut être compris sans affronter la figure de Seth. Dans beaucoup de lectures simplistes, Seth serait le « méchant » et Osiris le « gentil ». Cette opposition rassure, mais elle trahit le message profond du mythe. Seth est certes meurtrier, jaloux, destructeur, mais il incarne aussi une force que toute civilisation tente de contenir sans jamais pouvoir l’abolir : l’irruption du désordre. Le désert qui avance, la frontière qui ne tient plus, la haine au sein de la famille, la soif de pouvoir qui préfère régner sur des ruines plutôt que servir dans un royaume stable.
La méthode de Seth – la fête piégée, le coffre sur mesure, le meurtre sans sang – évoque ces systèmes modernes où la violence ne se voit pas immédiatement. Contrats biaisés, structures de pouvoir opaques, accords qui enferment sans chaînes apparentes : le principe reste le même. Le chaos ne surgit pas toujours comme une tempête. Il peut se glisser dans un jeu, dans un cadeau, dans une promesse. C’est ce que montre le mythe avec une précision implacable.
Une fois le crime commis, Seth ne se contente pas d’empoisonner la mémoire. Il découpe le corps d’Osiris, le disperse. Symboliquement, c’est la fragmentation de l’unité : un royaume qui se divise en provinces rivales, un peuple qui perd sa cohésion, une mémoire collective qui se morcelle en récits concurrents. Les Égyptiens, en plaçant des reliques ou des représentations d’Osiris dans plusieurs sanctuaires, prennent acte de ce morcellement et le retournent en réseau sacré : chaque fragment devient un centre de pèlerinage, une parcelle de la présence du dieu.
Ce modèle éclaire des pratiques contemporaines : lorsqu’un symbole est brisé, les communautés le multiplient, le déclinent, le relocalisent. L’image d’Osiris n’est pas moins puissante parce que son corps est dispersé ; au contraire, elle devient omniprésente. Seth, qui voulait faire disparaître son rival, finit par contribuer malgré lui à l’expansion de son culte.
Le chaos a donc un double visage. Il détruit, mais il oblige aussi à réinventer l’ordre. Isis, en parcourant le pays pour retrouver les morceaux du corps, rejoue une forme de cartographie sacrée. Chaque lieu où un fragment est enfoui devient une étape de pèlerinage, un point de mémoire. Ce geste répond à une question toujours actuelle : que faire lorsque ce qui structurait une société est pulvérisé ? Le mythe répond : rechercher, recoudre, réassembler, même si rien ne sera plus comme avant.
Seth, quant à lui, ne disparaît pas après le crime. Il continue d’exister comme force cosmique. Dans certains textes, il combat même, aux côtés de Rê, le serpent Apophis, ennemi absolu de l’ordre du monde. Cela révèle un paradoxe que les anciens Égyptiens assumaient, là où les modernes se veulent plus manichéens : un même dieu peut incarner la trahison et participer à la défense du cosmos. Le chaos interne d’une société peut parfois protéger contre un chaos plus grand encore venu de l’extérieur.
Le jugement implicite qui se dégage est clair : ignorer la part de Seth en chaque système, en chaque individu, c’est se condamner à être surpris par elle. La trahison n’est pas un accident ; elle est une possibilité toujours prête, logée au cœur même des liens les plus sacrés.
Cette tension entre destruction nécessaire et excès meurtrier prépare le terrain pour la figure d’Horus, qui devra arbitrer, non pas entre le bien et le mal abstraits, mais entre deux façons d’exercer la puissance.
Horus, vengeance et rétablissement de l’ordre : l’héritier à l’épreuve
Après l’assassinat d’Osiris et la dispersion de son corps, le mythe se tourne vers Horus, son fils. L’enfant n’apparaît pas comme un guerrier déjà formé. Il naît fragile, caché avec Isis dans les marais du delta, à l’abri de la rage de Seth. Ce détail n’est pas anodin : tout héritier légitime commence par être une menace pour le pouvoir en place, et donc une cible. Les roseaux qui dissimulent Horus deviennent l’image d’une vérité cachée, d’un futur roi qui doit d’abord survivre avant de revendiquer son droit.
La vengeance d’Horus n’est pas une explosion aveugle de violence. Elle est patiente, encadrée par les dieux, soumise parfois à des tribunaux divins où l’on débat de la légitimité de chacun. Dans plusieurs versions, Horus et Seth se livrent à une série d’épreuves : combats physiques, compétitions de force, ruses magiques. Chacune de ces confrontations met à nu un aspect de la nature des deux adversaires. Seth, brutal et impulsif, n’hésite pas à recourir au coup bas. Horus, lui, doit apprendre la maîtrise, l’endurance, la capacité à ne pas se laisser réduire à un simple vengeur sanguinaire.
Ces affrontements sont emblématiques des luttes de succession dans toutes les monarchies. Le droit du sang ne suffit pas ; il faut aussi démontrer l’aptitude à gouverner, à maintenir l’ordre, à résister aux provocations. Horus sort parfois blessé, notamment à l’œil, arraché puis restauré. Cet œil, le Oudjat, deviendra un des symboles les plus connus de l’Égypte : signe de protection, de guérison, mais aussi de pouvoir revenu de l’épreuve. Un pouvoir qui n’a jamais été attaqué reste naïf ; celui qui survit au choc gagne une profondeur nouvelle.
La vengeance d’Horus culmine lorsque l’ordre dynastique est rétabli : Horus prend la place de pharaon légitime, tandis qu’Osiris règne sur l’au-delà. Les rois humains sont alors vus comme des incarnations successives d’Horus vivant, succédant à un Osiris défunt. Cette articulation crée une vision circulaire du pouvoir : régner, mourir, être jugé, rejoindre Osiris, laisser la place à un nouvel Horus. La vengeance devient ainsi beaucoup plus qu’un simple règlement de compte familial ; elle scelle une architecture politique et funéraire pour tout un peuple.
Pour éclairer ce schéma, il est utile de le comparer à d’autres récits de succession : les tragédies grecques où les fils vengent les pères, les sagas médiévales où les héritiers revendiquent leur trône contre des usurpateurs. Dans bien des cas, la vengeance aboutit au chaos généralisé. Chez les Égyptiens, au contraire, le cycle se ferme sur un nouvel équilibre. La violence ne disparaît pas, mais elle est encadrée par une logique cosmique : Horus ne venge pas seulement son père, il rétablit Maât, l’ordre du monde.
Ce que ce mythe dit aux sociétés contemporaines est sans détour : une transmission du pouvoir qui nie les conflits, qui prétend se faire sans tensions ni contradictions, ment à sa propre nature. Les marais où grandit Horus, les tribunaux divins où il s’oppose à Seth, les cicatrices de son œil arraché, tout cela rappelle que la légitimité se forge dans l’épreuve, non dans les slogans.
Tableau comparatif : Osiris, Seth et Horus dans le cycle de la résurrection
| Figure divine | Rôle symbolique principal | Dimension humaine reflétée |
|---|---|---|
| Osiris | Roi juste, dieu de la résurrection, juge des morts | Souvenir d’un âge d’or, quête de justice après la mort |
| Seth | Trahison, chaos, force destructrice et ambivalente | Violence politique, envie, tentation du pouvoir absolu |
| Horus | Héritier légitime, vengeur, restaurateur de l’ordre | Lutte de succession, maturité acquise par l’épreuve |
Le cycle Osiris–Seth–Horus devient ainsi un schéma interprétatif que l’on peut appliquer à de nombreux récits de pouvoir, bien au-delà de la vallée du Nil.
Osiris et le culte funéraire égyptien : momification, jugement et vie après la mort
Le mythe d’Osiris ne reste pas dans le domaine du récit. Il structure de manière rigoureuse la religion funéraire de l’Égypte. Le travail d’Isis et d’Anubis sur le corps du dieu fonde le rite de la momification. En enveloppant Osiris de bandelettes, en reconstituant son intégrité, les dieux offrent un modèle que les prêtres vont imiter pour chaque défunt. Préserver la forme du corps n’est pas une obsession esthétique ; c’est préparer le support d’une possible renaissance.
Pour les Égyptiens, l’être humain est composé de plusieurs éléments : le corps physique, le ka (force vitale), le ba (dimension mobile, souvent figurée comme un oiseau à tête humaine), et d’autres aspects encore. La survie harmonieuse de ces composantes dépend du bon état du corps et des rituels accomplis. En ce sens, reproduire sur chaque mort ce qui a été fait pour Osiris, c’est espérer qu’il puisse, lui aussi, rejoindre un ordre d’au-delà où la justice sera rendue.
Au centre de cette justice se trouve le tribunal d’Osiris. Dans la célèbre scène de la « pesée du cœur », le défunt se présente devant le dieu, entouré de quarante-deux juges. Son cœur est placé sur une balance, face à la plume de Maât, symbole de vérité et d’équilibre. Si le cœur est plus léger ou aussi léger que la plume, le mort est déclaré « justifié » et peut entrer dans le champ des roseaux, le paradis appelé Aaru. S’il est trop lourd de fautes, il est dévoré par la créature Ammit, et son existence s’achève dans l’oubli.
Ce dispositif est d’une lucidité imperturbable. La véritable mesure, ce n’est pas la richesse, le rang, ni même la piété apparente. C’est le poids du cœur, c’est-à-dire la somme des actes, des intentions, des déséquilibres. Les « confessions négatives » trouvées dans le Livre des Morts montrent les défunts déclarant ce qu’ils n’ont pas fait : « Je n’ai pas volé », « Je n’ai pas tué », « Je n’ai pas trompé ». La morale égyptienne n’est donc pas détachée du quotidien ; elle s’enracine dans la justice sociale, le respect des serments, la limitation de la violence.
Le culte d’Osiris introduit ainsi une équation simple mais redoutable : sans justice, pas de résurrection heureuse. Les tombes richement décorées, les offrandes, les textes gravés sur les parois ont pour but de rappeler au défunt ce qu’il doit accomplir, réciter, ou présenter devant Osiris. Rien n’est laissé au hasard, mais tout repose sur un principe central : l’au-delà prolonge la logique du temps vécu, il ne l’annule pas.
Des exemples archéologiques abondent : au temple funéraire de Séthi Ier à Abydos, des scènes montrent le roi participant à des rituels osiriens, assimilant sa propre mort à celle du dieu. Les pharaons ne se croient pas immortels par essence ; ils misent sur la puissance d’un mythe déjà éprouvé. De la même manière, les particuliers, dans leurs tombes plus modestes, adaptent ce modèle selon leurs moyens. Entre la tombe paysanne et le tombeau royal se dessine une même conviction : se placer sous le signe d’Osiris, c’est espérer que la mort ne sera pas un néant, mais un passage sous jugement.
Le verdict que laisse ce pan du mythe est tranchant : la résurrection n’est pas un droit automatique, c’est une possibilité conditionnée par l’équilibre des actes. Les Égyptiens ont gravé cette exigence sur les murs de pierre pour qu’elle ne soit pas effacée par le confort ou l’oubli.
Temples, fêtes et géographie sacrée d’Osiris : une mémoire ancrée dans la terre
Un mythe n’existe vraiment que lorsqu’il s’inscrit dans des lieux. Osiris n’échappe pas à cette loi. Son culte se déploie sur tout le territoire égyptien, mais certains centres deviennent des pôles majeurs. Abydos, notamment, est perçu comme le lieu de sa sépulture. Les pèlerins qui s’y rendent ne cherchent pas un « site touristique » avant la lettre ; ils viennent se relier physiquement au point où le corps morcelé du dieu a été réuni et honoré.
Les temples d’Abydos, comme celui de Séthi Ier, présentent des reliefs détaillés où l’on voit le roi accomplir des offrandes à Osiris, Isis, Horus. Ces scènes ne sont pas de simples hommages : elles rejouent rituellement la restauration de l’ordre après la trahison de Seth. Chaque roi, en se montrant dévot d’Osiris, affirme qu’il accepte d’entrer dans ce cycle : régner comme Horus, mourir comme Osiris, laisser à son successeur la tâche de maintenir Maât.
Les fêtes osiriennes rythment l’année. Elles sont souvent liées au cycle agricole. Lorsque le Nil déborde, recouvre les berges, puis se retire en laissant un limon fertile, les Égyptiens voient là une image de la mort et du retour à la vie. Les processions où l’on transporte une statue d’Osiris, parfois couchée dans une barque ou un coffre, rejouent sa dérive sur le fleuve, son enfermement, puis sa renaissance. Par ces rituels, la communauté rappelle que la fertilité de la terre dépend d’un équilibre fragile entre vie et destruction.
On peut recenser plusieurs formes de célébrations :
- Processions nautiques : la statue ou le reliquaire d’Osiris voyage sur le Nil, rappelant le coffre jeté par Seth et transformant le fleuve en scène mythique.
- Drames rituels : des prêtres rejouent la trahison de Seth, la recherche d’Isis, la reconstitution du corps, afin que la foule revive le récit et en absorbe le sens.
- Rites agricoles : on plante des « jardins d’Osiris », des petites formes en terre remplie de graines qui germent, symbole de la résurrection à partir d’un corps couché.
Cette géographie sacrée ne se limite pas aux grandes villes. De nombreux villages possèdent des chapelles, des stèles, des petites représentations d’Osiris. Le dieu assassiné puis ressuscité devient familier, presque domestique, sans perdre son ampleur cosmique. Ce double statut – proche et lointain, accessible et redoutable – explique la longévité de son culte, qui traversera des millénaires, jusqu’aux périodes gréco-romaines.
À travers ces lieux, ces processions, ces fêtes, une vérité se répète : un peuple grave sa mémoire dans la pierre pour qu’elle survive à ses changements de dynastie, à ses guerres, à ses contacts avec d’autres cultures. Osiris, planté dans le paysage égyptien, empêche la trahison de Seth de se transformer en oubli pur et simple.
Héritage d’Osiris : de la résurrection égyptienne aux mythes modernes
La figure d’Osiris ne s’est pas dissoute avec l’effacement des hiéroglyphes. Son image du dieu qui meurt et renaît a traversé les siècles, réapparaissant sous des formes plus ou moins conscientes dans d’autres traditions. L’idée qu’un être divin ou semi-divin subisse la mort, soit morcelé, puis revienne à une forme supérieure de vie se retrouve dans plusieurs mythologies : Déméter et Perséphone en Grèce, certains récits proche-orientaux, puis, plus tard, dans les religions qui donnent un sens de salut à la souffrance et à la mort d’une figure sacrée.
Les parallèles ne signifient pas copie servile, mais convergence de préoccupations humaines. La peur de l’anéantissement, le besoin de croire qu’une justice ultime existe au-delà des injustices terrestres, le désir de voir la mort elle-même intégrée dans un cycle plus vaste : tout cela dépasse les frontières du Nil. Osiris devient alors une sorte d’ancêtre symbolique de nombreuses notions de vie après la mort, même lorsque son nom n’est plus prononcé.
Dans la culture contemporaine, les échos d’Osiris sont partout. Les récits de héros brisés qui « renaissent de leurs cendres », les arcs narratifs où un leader chutant dans la disgrâce réapparaît plus tard comme guide spirituel ou moral, les discours qui parlent de « nouveau départ » après une catastrophe, tout cela rejoue, souvent sans le savoir, la matrice osirienne. Le corps morcelé, ce sont les identités éparpillées par les crises ; la reconstitution par Isis, ce sont les efforts de mémoire, de réparation, de justice transitionnelle après des régimes de terreur.
Face à ces réappropriations modernes, une mise en garde s’impose. Le risque est grand de transformer Osiris en simple « prototype » de toutes les croyances de résurrection, comme si tout se valait, comme si tous les récits disaient la même chose. Or, le mythe égyptien garde une singularité radicale : la résurrection n’y est jamais une annulation du passé. Elle n’efface ni la trahison de Seth, ni la souffrance d’Isis, ni les combats d’Horus. Elle les intègre dans un ordre du temps où rien de ce qui a eu lieu n’est nié, mais tout est jugé et réarticulé.
À l’heure où les « nouveaux mythes » promettent des renaissances faciles – transhumanisme qui gomme la mort, spiritualités de consommation qui vendent des « réinitialisations » permanentes de soi – Osiris rappelle une vérité plus rugueuse : on ne ressuscite pas sans mémoire, sans traces, sans compte à rendre. La résurrection, si elle existe, ressemble moins à un bouton « reset » qu’à un procès où le cœur est pesé.
En ce sens, Osiris continue de juger bien au-delà des rives du Nil. Il offre un miroir à toute époque qui veut croire qu’elle peut enterrer ses fautes sans en assumer le poids. L’histoire du roi trahi, vengé, puis élevé au rang de juge des morts n’est pas un conte exotique. C’est un avertissement gravé dans la mémoire humaine : le temps n’oublie pas, il attend le moment de peser.
Qui est réellement Osiris dans la mythologie égyptienne ?
Osiris est à la fois un ancien roi divinisé, un dieu de la fertilité et surtout le maître du royaume des morts. Il incarne le souverain juste assassiné par son frère Seth, puis ressuscité par Isis. Après sa résurrection, il ne revient pas vivre parmi les humains, mais devient juge des morts et garant de la possibilité d’une vie après la mort pour ceux dont le cœur est trouvé juste.
Pourquoi Seth a-t-il trahi et tué Osiris ?
Seth représente le chaos, la jalousie et la force brute. Il tue Osiris pour prendre le pouvoir et renverser l’ordre incarné par son frère. La trahison se déroule lors d’un banquet, par un piège soigneusement préparé : un coffre aux dimensions exactes d’Osiris. Ce meurtre symbolise la rupture de l’harmonie politique et cosmique, et le surgissement d’un pouvoir sans légitimité.
Comment Horus venge-t-il la mort d’Osiris ?
Horus, fils d’Osiris et d’Isis, grandit caché pour échapper à Seth. Devenu adulte, il affronte son oncle dans une série de combats et d’épreuves arbitrées par les dieux. Au terme de ce cycle de confrontations, Horus est reconnu comme héritier légitime, prend la place de pharaon symbolique, tandis qu’Osiris règne sur l’au-delà. Sa vengeance n’est pas seulement personnelle : elle rétablit l’ordre cosmique.
Quel lien existe entre Osiris et la momification ?
Selon le mythe, Isis et Anubis rassemblent les morceaux du corps d’Osiris, les purifient et les enveloppent de bandelettes. Ce geste fonde le rite de la momification humaine. Chaque défunt traité selon ces rites imite la restauration du corps d’Osiris, dans l’espoir de connaître lui aussi une forme de renaissance et d’accéder au jugement du dieu dans l’au-delà.
Le mythe d’Osiris a-t-il influencé d’autres religions ou récits ?
Les thèmes incarnés par Osiris – mort injuste, démembrement, résurrection, jugement après la mort – se retrouvent dans plusieurs traditions ultérieures, même si les contextes diffèrent. On observe des parallèles avec d’autres figures de dieux ou de héros qui meurent et renaissent symboliquement. Plutôt qu’une copie directe, il s’agit d’une convergence de préoccupations humaines sur la justice ultime, la vie après la mort et le sens de la souffrance.


