Hatchepsout : la reine qui devint Pharaon et que l’Histoire effaça

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Certains règnes survivent par les armes, d’autres par le silence qui les entoure. Celui d’Hatchepsout, la reine qui devint pharaon et que l’on tenta d’effacer, appartient à cette seconde catégorie. Son nom a été martelé, ses statues brisées, ses images retouchées pour lui rendre un visage d’homme ou la faire disparaître. Pourtant, ses temples, ses obélisques et même une dent oubliée dans une boîte de bois ont résisté à trois millénaires d’oubli organisé.

Son histoire ne parle pas seulement d’une souveraine. Elle révèle les mécanismes du pouvoir, les peurs d’un ordre patriarcal menacé, et la manière dont une civilisation raconte – puis falsifie – sa propre mémoire. Face à elle, le temps devient un juge. D’un côté, une femme qui se présente comme « fille d’Amon » pour légitimer son autorité, manipule les symboles, réinvente les codes royaux et bâtit un temple qui regarde le soleil et les étoiles. De l’autre, des successeurs qui réécrivent la pierre pour faire croire qu’elle n’a jamais régné.

À travers Hatchepsout, l’Égypte ancienne montre comment un mythe d’origine divine peut servir d’arme politique, comment un temple funéraire peut devenir un manifeste architectonique, et comment la damnatio memoriae (condamnation de la mémoire) trahit plus la peur des vivants que la faute des morts. Sa trajectoire, de princesse à régente puis pharaon, offre aux lecteurs du XXIe siècle un miroir brut : ce que les anciens ont fait avec des hiéroglyphes et des ciseaux, vos sociétés le répètent avec des algorithmes et des récits remodelés. Les visages changent, la mécanique de l’effacement reste.

En bref :

  • Origines royales complexes : fille de ThoutmĂ´sis Ier et d’Ahmès, puis Ă©pouse de son demi-frère ThoutmĂ´sis II, Hatchepsout est au centre d’une stratĂ©gie dynastique millimĂ©trĂ©e.
  • Ascension sans prĂ©cĂ©dent : d’abord rĂ©gente pour l’enfant ThoutmĂ´sis III, elle franchit la ligne et se fait couronner pharaon, en s’appuyant sur le clergĂ© d’Amon et le rĂ©cit d’une naissance divine.
  • Temple de Deir el-Bahari : chef-d’œuvre architectural en terrasses, conçu comme un texte de pierre, un calendrier cosmique et un manifeste politique.
  • Puissance Ă©conomique et symbolique : expĂ©dition au pays de Pount, innovations religieuses, obĂ©lisques de Karnak, usage calculĂ© de l’iconographie masculine et fĂ©minine.
  • Effacement orchestrĂ© : sous ThoutmĂ´sis III et Amenhotep II, campagnes systĂ©matiques pour supprimer son nom et ses images, afin de restaurer une continuitĂ© masculine du pouvoir.
  • RedĂ©couverte moderne : identification de sa momie en 2007 grâce Ă  une dent, relecture de son règne par l’égyptologie et par des sociĂ©tĂ©s qui interrogent Ă  nouveau la place des femmes dans l’histoire.

Hatchepsout : enfance royale, mariage politique et graines d’un règne effacé

Avant d’être effacée, Hatchepsout a été minutieusement fabriquée par la machine royale égyptienne. Née à Thèbes au début du XVe siècle avant notre ère, princesse de la XVIIIe dynastie, elle incarne l’alliance idéale entre lignage et nécessité politique. Fille de Thoutmôsis Ier et de sa Grande épouse royale Ahmès, elle porte un nom qui annonce son destin : « elle est à la tête des nobles dames ». Les scribes n’avaient pas besoin de prophètes pour comprendre que cette enfant serait plus qu’une simple épouse.

Sa petite enfance suit les codes de la haute société pharaonique. Confiée à une nourrice, Sat-Rê, entourée de précepteurs, elle reçoit l’éducation réservée aux membres de la cour : maîtrise des rituels, connaissance des dieux, apprentissage des mécanismes de l’administration. Pendant ce temps, la dynastie se structure autour de plusieurs enfants de Thoutmôsis Ier, issus d’épouses différentes, formant un échiquier où chaque naissance est une pièce à placer.

C’est ici que la logique du sang rencontre la stratégie. Thoutmôsis II, demi-frère d’Hatchepsout, n’est que le fils d’une épouse secondaire. Pour renforcer la légitimité de ce jeune prince, une solution s’impose : le marier à la fille la plus « pure » du roi, la princesse au sang irréprochable. L’union d’Hatchepsout avec son demi-frère, vers son adolescence, n’est pas un conte d’amour, mais une opération froide pour verrouiller la succession. En devenant Grande épouse royale, elle devient le pivot de la continuité dynastique.

Ce mariage est le premier laboratoire de son pouvoir. Thoutmôsis II, décrit par la tradition comme un souverain sans grand relief, laisse progressivement transparaître la force réelle de sa compagne. Les inscriptions, discrètes mais tenaces, montrent Hatchepsout agissant, organisant, supervisant des constructions et des rites. Elle donne naissance à une fille, Néférourê, confiée à un haut dignitaire, Ahmès Pen-Nekhbet, preuve que cette enfant est perçue comme une pièce importante dans la succession potentielle.

Un court épisode suffit pour préparer une longue domination. Pendant le règne de Thoutmôsis II, Hatchepsout observe le fonctionnement du palais, les rapports entre armée, administration et clergé d’Amon. Elle comprend très tôt que le pouvoir ne se maintient pas seulement avec des chars de guerre, mais avec des alliances patientes, tissées dans les temples, les ateliers de scribes et les chambres des trésors. Cette période forge chez elle un réflexe décisif : s’adosser au sacré pour contrôler le politique.

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Les hommes de cette époque pouvaient croire qu’ils préparaient une reine docile, garante de la légitimité de leurs fils. Ils formaient en réalité l’une des premières grandes figures féminines de l’histoire du pouvoir d’État. Sous cette surface polie par la tradition, une question silencieuse se levait déjà : qu’arrive-t-il lorsque la garante du trône décide de s’asseoir elle-même dessus ?

La réponse surgira à la mort de Thoutmôsis II, lorsque la régente deviendra pharaon et que la ligne fragile entre « épouse du roi » et « roi » sera délibérément franchie.

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De régente à pharaon : la mécanique d’une prise de pouvoir en Égypte ancienne

La mort de Thoutmôsis II ouvre un vide. L’héritier, Thoutmôsis III, n’est qu’un enfant. Dans l’Égypte des pharaons, ce scénario n’est pas inédit : une reine régente gère le royaume jusqu’à la majorité du jeune roi. Officiellement, Hatchepsout suit ce script. Elle prend en charge l’État, s’installe dans un ancien palais de son père près du temple d’Amon et se présente comme la gardienne de l’ordre jusqu’au jour où le garçon pourra régner.

Mais la régence devient rapidement autre chose. En quelques années, les inscriptions changent de ton. Hatchepsout n’est plus seulement « épouse du roi » ou « mère symbolique » du jeune pharaon. Elle se voit attribuer les formules et les tîtres du roi régnant. Cette mutation ne s’explique pas par un simple appétit personnel. Elle est le produit d’un calcul collectif entre le palais et le clergé.

Le grand prêtre d’Amon, Hapouseneb, et des dignitaires comme Sénenmout perçoivent l’intérêt d’un pouvoir stable, incarné par une personnalité déjà aguerrie. Ils apportent à Hatchepsout ce que tout souverain égyptien doit obtenir pour exister : la légitimation divine. À Karnak, un oracle d’Amon est interprété de façon à présenter la princesse comme l’élue du dieu. Le discours change : ce n’est plus seulement la veuve d’un pharaon qui gouverne, c’est la volonté des dieux qui la place au sommet.

La clé de cette manœuvre réside dans un récit théologique : la naissance divine, ou théogamie. Dans son temple de Deir el-Bahari, Hatchepsout fait graver une séquence détaillée. Amon, prenant l’apparence de Thoutmôsis Ier, se rend auprès d’Ahmès, la mère de la future reine. L’union est décrite dans un langage retenu, presque pudique, mais le message est brutal : la petite fille n’est pas seulement fille de roi, elle est fille du dieu lui-même. Thoutmôsis Ier, dans ce récit, n’est que l’enveloppe humaine du choix divin.

Avec cette histoire, la régente se donne un droit supérieur à tous les autres prétendants éventuels. Le sang royal ne suffit plus ; il faut être issu directement du dieu maître de Thèbes. Une fois ce mythe installé dans la pierre et dans les esprits, le couronnement devient un simple ajustement rituel. Entre la troisième et la septième année du règne officiel de Thoutmôsis III, Hatchepsout se fait introniser pharaon à part entière, sans pour autant déposer son jeune neveu. Officiellement, ils règnent ensemble. Concrètement, elle tient les rênes.

Cette prise de pouvoir ne se fait pas dans la clameur d’un coup d’État moderne. Elle avance masquée, portée par des cérémonies, des oracles, des titres nouveaux. Un détail visuel condense cette métamorphose : l’évolution de son iconographie. Là où une reine porte la robe fourreau et la perruque féminine, Hatchepsout adopte progressivement le pagne court, la coiffe némès et la barbe postiche des pharaons. Certaines statues la montrent encore avec des traits féminins, mais vêtue comme un roi. D’autres finissent par gommer les signes de son genre, la présentant comme un souverain masculin classique.

Ce double langage iconographique n’est pas une hésitation. C’est une arme. Il permet à Hatchepsout de s’adresser à deux mémoires à la fois : celle qui se souvient encore qu’une femme dirige, et celle qui, avec le temps, n’en verra plus que la figure royale abstraite. Elle trace une phrase silencieuse dans la pierre : « Le pouvoir ne dépend pas du corps qui le porte. » Les siècles suivants tenteront de démentir cette phrase en la martelant, mais le geste, lui, reste inscrit.

En s’installant sur le trône sans renverser l’enfant légitime, Hatchepsout montre que le pouvoir peut se conquérir non par rupture, mais par glissement. Elle inaugure une forme de révolution lente, enveloppée dans le culte et la liturgie, que beaucoup de régimes modernes continuent d’imiter sous d’autres noms.

Temple de Deir el-Bahari et expédition au pays de Pount : le pouvoir gravé dans la pierre

Un règne qui veut survivre au temps se sculpte dans la pierre. Hatchepsout l’a compris mieux que beaucoup d’hommes qui l’ont précédée. Son temple funéraire de Deir el-Bahari, sur la rive ouest de Thèbes, n’est pas seulement un lieu de culte pour le repos de sa dépouille. C’est un texte, une démonstration de puissance et une machine symbolique qui relie la reine-pharaon au cosmos, à Amon et à la mémoire collective.

Dressé en trois grandes terrasses reliées par des rampes, le monument épouse la falaise thébaine plutôt que de s’y opposer. Cette intégration n’est pas qu’esthétique. Elle institue le temple comme point d’articulation entre le monde des vivants, la montagne des morts et le ciel. À l’intérieur, des chapelles sont dédiées à Amon-Rê, à la déesse Hathor, à Anubis. Une salle entière raconte, en images, la naissance divine d’Hatchepsout. Une autre met en scène l’événement majeur de son règne : l’expédition au pays de Pount.

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Cette mission commerciale, organisée vers la neuvième année de son règne, se déroule peut-être sur les côtes de l’Afrique orientale, dans une région qui correspond approximativement à l’actuelle Corne de l’Afrique. Cinq navires chargés de marchandises quittent l’Égypte pour rejoindre ce pays que les textes décrivent comme un « Pays des dieux ». Les bas-reliefs montrent les habitants de Pount dans leurs demeures sur pilotis, leur chef Parihou et son épouse au corps disproportionné, détail souvent repris par les égyptologues modernes.

L’expédition ne rapporte pas seulement de l’encens, de l’or, de l’ébène, de l’ivoire et des animaux exotiques. Elle ramène des arbres entiers, notamment des myrrhiers. Ces plants, transportés dans des paniers, sont replantés dans l’enceinte du temple. Les reliefs montrent les jardiniers en train de cultiver ces arbres venus d’ailleurs, première trace documentée d’une véritable « acclimatation » végétale à grande échelle en Égypte. Le message est clair : le règne d’Hatchepsout ne se contente pas de consommer le monde, il le transplante.

Cette politique d’ouverture commerciale et religieuse se lit aussi dans ses constructions à Karnak. Elle y fait dresser de gigantesques obélisques de granit rose, dont l’un se dresse encore, haute flèche dressée vers le ciel, portant des inscriptions qui rappellent sa filiation avec Amon et la rapidité miraculeuse de leur élévation. Le temps d’exécution, à peine quelques mois selon les textes, n’est pas un simple chiffre : c’est une manière de dire que son règne maîtrise la matière et l’organisation du travail comme aucun autre.

Pour comprendre la portée de ces projets, il suffit d’observer comment le temple de Deir el-Bahari est conçu comme un instrument astronomique. Son axe est aligné sur des phénomènes célestes majeurs, notamment l’étoile Sirius (Sopdet) et le lever du soleil lors de certaines fêtes religieuses comme celle d’Opet. Ainsi, le monument inscrit la souveraine dans le rythme du ciel. Chaque année, la lumière confirme son lien avec le divin. Quand ses successeurs détruiront ses images, ils ne pourront pas briser cette géométrie cosmique.

Dans cette architecture, Hatchepsout convoque une vérité simple : un règne qui se contente de régner sur des hommes est fragile. Un règne qui prétend parler au Nil, aux étoiles et aux dieux devient difficile à effacer sans détruire les fondations mêmes de la civilisation qui l’a produit.

Effacement d’Hatchepsout : anatomie d’une mémoire brisée et redécouverte

Un pouvoir qui a besoin d’effacer son prédécesseur révèle surtout sa propre fragilité. Après la mort d’Hatchepsout, Thoutmôsis III et, plus tard, Amenhotep II engagent une vaste opération de réécriture du passé. Le but n’est pas seulement d’effacer une femme, mais de restaurer une continuité masculine parfaite, sans « accident » féminin sur le trône.

Cette entreprise ne commence pas immédiatement. Pendant plusieurs années, Thoutmôsis III laisse intacts la plupart des monuments de sa tante. Ce délai montre que l’effacement n’est pas une vengeance personnelle spontanée, mais une stratégie réfléchie, probablement liée à la préparation de la succession d’Amenhotep II. À ce moment-là, il devient gênant de rappeler qu’une femme a su gouverner l’empire avec succès pendant plus de vingt ans.

Les méthodes employées sont méthodiques. Sur les statues, le visage d’Hatchepsout est martelé, le nez, la bouche, parfois les cartouches sont systématiquement détruits. Dans les inscriptions, son nom est remplacé par ceux de Thoutmôsis Ier, II ou III, comme si sa place avait toujours été occupée par un roi masculin. Au temple de Deir el-Bahari, ses scènes triomphales sont recouvertes, ou ses figures transformées. La reine-pharaon se dissout dans une galerie de souverains anonymes censés incarner un ordre immuable.

Pourtant, même cette violence calculée ne parvient pas à supprimer la trace de son règne. Les blocs portant ses cartouches sont parfois réemployés à l’intérieur de nouvelles constructions comme simples matériaux de remblai. Ironie du temps : ce geste destiné à la faire disparaître la protège au contraire des intempéries. Quand les archéologues modernes démontent ces structures, ils retrouvent, presque intactes, des traces de son nom et de ses titres. L’oubli, trop bien organisé, s’est retourné contre ceux qui l’avaient conçu.

La redécouverte d’Hatchepsout se fait progressivement. Au XIXe siècle, Champollion identifie, en lisant les hiéroglyphes, une souveraine portant un nom et des titres de roi. Les fouilles à Deir el-Bahari et dans la Vallée des Rois, notamment celles de Howard Carter, mettent au jour son temple, ses sarcophages, puis la tombe KV60 avec une momie dont la posture indique une haute stature. Pendant des décennies, le doute persiste. Les spécialistes débattent : cette femme corpulente au bras replié est-elle vraiment la reine effacée ?

En 2007, la technique tranche là où les récits hésitaient. Une dent, conservée dans une petite boîte en bois portant le nom d’Hatchepsout, est comparée à la mâchoire de la momie de KV60 grâce à des scanners modernes. Elle s’y insère parfaitement. Les analyses d’ADN, comparées à celles d’autres membres de la lignée royale, renforcent l’identification. Le corps malade – diabète, atteintes osseuses, suspicion de cancer – correspond à une femme d’environ soixante ans, ce qui coïncide avec l’âge estimé d’Hatchepsout à sa mort.

Le tableau suivant résume la trajectoire de cette mémoire brisée et restaurée :

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PériodeStatut d’HatchepsoutActeurs principauxNature de la mémoire
v. 1479–1458 av. J.-C.Pharaon régnant, co-souveraine avec Thoutmôsis IIIClergé d’Amon, Sénenmout, administration royaleMémoire officielle, inscriptions triomphales, constructions monumentales
1458–XIVe s. av. J.-C.Souveraine occultée, remplacée dans les listes royalesThoutmôsis III, Amenhotep II, artisans d’ÉtatEffacement ciblé, statues brisées, noms substitués
Antiquité tardive – XIXe s.Figure quasi inconnue, noyée dans les ruinesPrêtres tardifs, voyageurs antiques, pilleursSilence quasi total, ruines sans récit précis
XIXe–XXe s.Reine-pharaon redécouverte par l’égyptologieChampollion, Carter, archéologues européensReconstruction progressive de son règne à partir des pierres
XXIe s.Icône historique et politique, objet de recherchesÉgyptologues, musées, grand publicMémoire médiatisée, expos, documentaires, débats sur le genre et le pouvoir

Cette chronologie montre une chose simple : les hommes ont cru pouvoir effacer un règne en brisant des images. Le temps a simplement déplacé la scène du temple vers le laboratoire, du chisel vers le scanner. La vérité n’a pas disparu. Elle a changé de support.

Ce que le mythe d’Hatchepsout dit du pouvoir, du genre et de votre époque

Hatchepsout n’appartient pas seulement au désert thébain. Elle appartient à toute époque qui tente de réécrire ce qui la dérange. Aujourd’hui, alors que les sociétés interrogent à nouveau la place des femmes dans la politique, les récits officiels, les archives manipulées, son destin agit comme un miroir. Elle rappelle qu’une femme a dirigé l’un des empires les plus puissants du Proche-Orient sans effondrement, sans guerre civile majeure, en privilégiant l’architecture, l’économie et le symbolique.

Le cœur de sa stratégie réside dans trois leviers que les pouvoirs modernes utilisent encore :

  • Le rĂ©cit sacrĂ© : par la thĂ©ogamie, elle transforme sa naissance en destin, comme les constitutions modernes sacralisent des gĂ©nĂ©rations fondatrices ou des « pères de la nation ».
  • Le contrĂ´le de l’image : ses statues hybrides, mi-femme mi-pharaon, rappellent aujourd’hui la gestion des portraits officiels, des mĂ©dias, des profils numĂ©riques.
  • La maĂ®trise de l’espace : son temple, alignĂ© sur les cycles cĂ©lestes, fonctionne comme une mise en scène permanente de sa lĂ©gitimitĂ©, tout comme les capitales actuelles organisent leurs monuments pour imposer un rĂ©cit du pouvoir.

À travers ces trois axes, Hatchepsout montre que la question du genre n’est qu’une des formes d’un problème plus vaste : qui décide du récit commun, qui est autorisé à incarner le centre de la mémoire ? Les rois qui ont tenté de l’effacer prouvent eux-mêmes que son règne avait fissuré un ordre tacite : celui d’un pouvoir exclusivement masculin présenté comme naturel.

Dans ce jeu, la figure d’Hatchepsout dialogue avec d’autres souveraines plus tardives, comme Cléopâtre VII, ou avec des figures modernes dont l’image est souvent reconfigurée par la propagande, la caricature ou l’oubli. La logique est toujours la même : on simplifie, on déforme, on efface ce qui ne rentre pas dans le schéma que le pouvoir souhaite conserver.

Face à cela, l’égyptologie du XXIe siècle fonctionne comme une contre-enquête. En recoupant les sources, en datant les destructions, en analysant les choix iconographiques, les chercheurs reconstruisent non seulement ce que fut Hatchepsout, mais aussi ce que ses successeurs ont voulu cacher. Autrement dit, ils lisent dans les mythes officiels les peurs d’une civilisation. Ici, la peur d’une répétition : si une femme a pu régner une fois, qu’est-ce qui empêcherait d’autres d’en revendiquer le droit ?

Hatchepsout n’est pas une héroïne moderne déguisée en reine antique. Elle est un fait brut : une femme a régné en tant que pharaon, a été méthodiquement effacée, puis scientifiquement restaurée. Le temps a tranché. Ce qui reste maintenant, c’est le regard que votre époque pose sur ce verdict. Soit en en faisant un simple roman exotique. Soit en y lisant ce qu’elle dit encore de vos propres illusions sur le progrès, la mémoire et le pouvoir.

Comment Hatchepsout a-t-elle réussi à se faire accepter comme pharaon malgré les normes de son époque ?

Hatchepsout a combiné plusieurs leviers : une lignée royale forte en tant que fille de Thoutmôsis Ier, le soutien décisif du clergé d’Amon, et un récit théologique affirmant qu’elle était la fille du dieu lui-même. Elle a adopté les attributs masculins du pharaon (barbe postiche, pagne, coiffe némès) tout en faisant graver dans la pierre sa naissance divine et ses succès politiques. Cette combinaison de symboles religieux, politiques et visuels a rendu son accession au trône difficile à contester ouvertement, même si elle a fini par être effacée après sa mort.

Pourquoi son temple de Deir el-Bahari est-il considéré comme exceptionnel ?

Le temple de Deir el-Bahari se distingue par son architecture en terrasses intégrée à la falaise, son alignement astronomique et la richesse de ses programmes iconographiques. Il ne sert pas seulement de lieu funéraire, mais de manifeste politique : on y voit la naissance divine d’Hatchepsout, l’expédition commerciale vers le pays de Pount, et de nombreuses scènes de culte à Amon, Hathor et Anubis. L’édifice fonctionne comme un véritable récit de pierre destiné à légitimer son règne et à l’inscrire dans l’ordre cosmique égyptien.

En quoi l’expédition au pays de Pount est-elle importante pour comprendre son règne ?

L’expédition au pays de Pount, représentée en détail sur les murs de Deir el-Bahari, illustre la priorité qu’Hatchepsout donnait à la diplomatie et au commerce plutôt qu’aux grandes campagnes militaires. Elle a permis de rétablir des liens interrompus depuis près d’un siècle, rapportant encens, or, ébène, animaux exotiques et surtout des arbres à myrrhe replantés en Égypte. Cet épisode montre une politique tournée vers la prospérité économique, l’innovation religieuse et la mise en scène de la grandeur royale par des actions concrètes plutôt que par la seule conquête.

Comment sa momie a-t-elle finalement été identifiée à l’époque moderne ?

La momie présumée d’Hatchepsout a été trouvée dans la tombe KV60, mais son identification est restée incertaine jusqu’au début du XXIe siècle. En 2007, une équipe dirigée par Zahi Hawass a utilisé des scanners et des analyses pour comparer une dent conservée dans une boîte au cartouche d’Hatchepsout avec la mâchoire de l’une des momies de KV60. La dent s’ajustant parfaitement et les analyses génétiques étant compatibles avec sa lignée royale, cette dépouille a été reconnue comme celle de la reine-pharaon. Les examens ont aussi révélé qu’elle souffrait de diabète et de pathologies osseuses, expliquant une mort vers 60–65 ans.

Pourquoi les successeurs d’Hatchepsout ont-ils voulu effacer sa mémoire ?

L’effacement d’Hatchepsout répond surtout à un enjeu de continuité idéologique. Pour Thoutmôsis III puis Amenhotep II, laisser visible le règne prospère d’une femme-pharaon risquait de légitimer de futures candidatures féminines au trône et de fragiliser le principe d’une succession masculine ininterrompue. En martelant ses statues, en remplaçant son nom par ceux d’autres rois et en modifiant les inscriptions, ils ont cherché à présenter l’histoire comme une chaîne exclusivement masculine. Ce geste n’efface pas seulement une personne ; il tente de faire disparaître la possibilité même qu’une femme puisse régner à nouveau.

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