Les anciens lâavaient compris : sous la silhouette souple dâune chatte se cachait une force solaire capable de sauver un peuple⊠ou de le dĂ©vaster. Bastet, la dĂ©esse chatte, nâest pas une figure dĂ©corative de la mythologie Ă©gyptienne, mais un nĆud de tensions : joie et violence, maternitĂ© et guerre, foyer et dĂ©sert brĂ»lant. Ă travers elle, lâĂgypte a tentĂ© de donner une forme supportable Ă ce que les humains craignent le plus : leur propre puissance mal dirigĂ©e. Quand les scribes gravaient son nom sur la pierre, ils nâhonoraient pas seulement une divinitĂ©, ils dressaient un miroir devant la psychĂ© humaine. Le chat qui ronronne au coin du brasier, câest la colĂšre apprivoisĂ©e. La griffe qui dĂ©chire, câest la mĂ©moire de ce que la douceur peut redevenir si elle est trahie.
Regarder Bastet aujourdâhui, ce nâest pas feuilleter un album de curiositĂ©s exotiques. Câest interroger un symbole qui persiste, malgrĂ© les millĂ©naires, dans les comportements modernes. Le culte des animaux de compagnie, la fascination pour le fĂ©minin autonome, la peur des Ă©lans collectifs qui dĂ©gĂ©nĂšrent en hystĂ©rie : tout cela se lit dĂ©jĂ dans les fĂȘtes de Bubastis et dans la lĂ©gende de la lionne devenue chatte. Bastet rappelle que la lumiĂšre nâest pas douce par nature ; elle le devient lorsquâune force accepte de se contenir, de se mesurer, de se transformer. Le mythe ne raconte pas un conte charmant, il dĂ©crit une alchimie intĂ©rieure : comment passer de la fureur solaire Ă la protection apaisante, sans perdre la puissance initiale. Ce nâest pas une histoire ancienne, câest une leçon que chaque Ă©poque rĂ©apprend sous dâautres masques.
En bref :
- Bastet incarne la transformation dâune Ă©nergie destructrice (la lionne Sekhmet) en douceur protectrice, sans perte de puissance.
- Déesse à la fois solaire, maternelle et guerriÚre, elle renverse les clichés sur le féminin passif ou purement lunaire.
- Son culte, centrĂ© sur la joie, la musique et la fĂȘte Ă Bubastis, rĂ©vĂšle une spiritualitĂ© oĂč la cĂ©lĂ©bration est un chemin vers le sacrĂ©.
- Figure protectrice des foyers, des femmes enceintes, des enfants et des chats, elle relie intimement religion et vie quotidienne.
- Dans la culture contemporaine, elle est devenue un symbole de protection, de féminité autonome et de sagesse intériorisée.
Bastet, déesse chatte solaire : entre douceur domestique et fureur cosmique
La silhouette de Bastet, la dĂ©esse chatte : douceur divine et fureur solaire, se dĂ©coupe dâabord sur un horizon brĂ»lĂ© de lumiĂšre. Elle naĂźt dans lâentourage de RĂȘ, le dieu soleil, non comme une compagne docile, mais comme la trace apaisĂ©e dâune violence extrĂȘme. Les prĂȘtres racontaient lâhistoire de Sekhmet, la lionne dĂ©chaĂźnĂ©e envoyĂ©e pour chĂątier lâhumanitĂ©. Sa soif de sang devient telle que mĂȘme le dĂ©miurge prend peur. Pour lâarrĂȘter, on rĂ©pand une biĂšre teintĂ©e de rouge, quâelle prend pour du sang. EnivrĂ©e, la tueuse sâendort. La lionne se dissout. De cette fureur anesthĂ©siĂ©e, surgit une prĂ©sence plus lĂ©gĂšre, plus proche, mais toujours solaire : Bastet.
Ce rĂ©cit nâest pas une simple anecdote de panthĂ©on. Il expose un mĂ©canisme que chaque civilisation, puis chaque individu, expĂ©rimente. Une force brute se manifeste dâabord sous une forme incontrĂŽlable. Elle menace tout. Vient ensuite le temps de la ruse, de la dilution, de la transformation. LĂ oĂč Sekhmet brĂ»lait, Bastet Ă©claire. LĂ oĂč la lionne lacĂ©rait, la chatte caresse. Pourtant, rien nâa Ă©tĂ© perdu : la puissance subsiste, seulement rĂ©orientĂ©e. Le mythe affirme que la douceur vĂ©ritable est une violence convertie, non une faiblesse native.
Cette transmutation, les Ăgyptiens la lisaient aussi dans le cycle du soleil. Ă midi, lâastre accable, rend fou, tue. Au matin et au soir, la mĂȘme lumiĂšre devient promesse et repos. Bastet incarne ce soleil apprivoisĂ©, proche des humains, supportable. Elle appartient au cercle intime, non Ă la sphĂšre Ă©crasante des dĂ©serts. Câest pourquoi elle rĂšgne sur le foyer, la musique, les rires, la sensualitĂ© maĂźtrisĂ©e. Elle protĂšge, comme un feu domestiquĂ© protĂšge de la nuit, sans redevenir incendie.
Une figure fictive, Nefru, artisane de Bubastis, illustre ce lien. Dans sa maison, une petite statuette de bronze de Bastet veille prĂšs du four. Chaque matin, Nefru dĂ©pose une fleur et quelques miettes de pain, en murmurant une priĂšre rapide. Elle ne lui demande pas des victoires militaires ni des miracles grandioses. Elle lui demande la chose la plus rare : que la journĂ©e se passe sans dĂ©bordement de colĂšre, sans maladie soudaine, sans dispute qui dĂ©chire la famille. Bastet est lâalliĂ©e de cette stabilitĂ© silencieuse que les textes politiques ignorent, mais dont dĂ©pend la survie rĂ©elle dâune civilisation.
En arriĂšre-plan, pourtant, demeure la menace. Les Ăgyptiens savaient que la chatte pouvait redevenir lionne. DâoĂč les colliers, les bijoux, les sistres : autant de signes de canalisation. On ne laisse pas une puissance solaire nue. On lâorne, on la rythme par la musique, on lâintĂšgre dans des rites pour Ă©viter quâelle ne dĂ©borde Ă nouveau. Bastet, en ce sens, est moins une dĂ©esse quâun verdict : toute force ignorĂ©e de sa propre mesure finit par dĂ©truire ce quâelle prĂ©tend dĂ©fendre.
Ă travers cette ambivalence, Bastet montre que la douceur nâest pas lâopposĂ© de la violence, mais son destin possible lorsque la conscience intervient.

Origines mythologiques de Bastet : de la lionne Sekhmet Ă la gardienne du foyer
Pour saisir la portĂ©e de Bastet, la dĂ©esse chatte : douceur divine et fureur solaire, il faut suivre la trace de son Ă©volution au sein du panthĂ©on. Dans les plus anciens niveaux de la religion Ă©gyptienne, elle se rapproche de ces dĂ©esses-lionnes qui incarnent la chaleur implacable et la guerre sacrĂ©e. Lâimage de la lionne nâest pas choisie au hasard : elle chasse en groupe, frappe vite, protĂšge ses petits avec une fĂ©rocitĂ© que peu dâanimaux Ă©galent. Le message est clair : le fĂ©minin nâest pas ici synonyme de passivitĂ©, mais de puissance vitale prĂȘte Ă mordre.
Les textes la prĂ©sentent comme fille de RĂȘ, parfois dâAmon. Cette filiation solaire la place au cĆur de la mĂ©canique cosmique. Bastet nâest pas une divinitĂ© pĂ©riphĂ©rique des marges rurales. Elle appartient Ă la trajectoire de lâastre qui ordonne le temps, rĂ©gule les crues, dĂ©cide de la survie des rĂ©coltes. La lumiĂšre quâelle canalise nâest pas metaforique, elle est agricole, politique, existentielle. Quand le soleil devient trop dur, il faut le voiler. Quand il sâabsente, il faut lâappeler. Bastet est ce voile et cet appel.
Peu Ă peu, son iconographie glisse de la lionne Ă la chatte. Le fauve du dĂ©sert cĂšde la place Ă un animal domestiquĂ©, invitĂ© dans les maisons pour chasser les rongeurs qui menacent les greniers. Ce dĂ©placement visuel correspond Ă une mutation de fonction. Bastet cesse dâĂȘtre uniquement guerriĂšre pour devenir gardienne du foyer, protectrice des femmes enceintes, des enfants et des naissances. Le danger quâelle combat nâest plus lâennemi extĂ©rieur, mais les forces invisibles : maladies, mauvais esprits, regards jaloux.
Cette Ă©volution rĂ©vĂšle une vĂ©ritĂ© profonde : les sociĂ©tĂ©s anciennes ont compris que la violence la plus dĂ©vastatrice nâest pas celle des champs de bataille, mais celle qui brise la continuitĂ© de la vie quotidienne. En faisant de Bastet une protectrice de lâintime, lâĂgypte admet que la survie du peuple repose moins sur les victoires que sur la prĂ©servation des naissances, des graines, des liens. La lionne qui pourfend devient chatte qui veille. Ce nâest pas une diminution, câest une rĂ©orientation stratĂ©gique.
Pour donner un relief Ă ce passage, on peut comparer Bastet Ă dâautres dĂ©esses du pourtour mĂ©diterranĂ©en. LĂ oĂč la GrĂšce confie la guerre Ă AthĂ©na, stratĂšge froide, et le foyer Ă Hestia, prĂ©sence discrĂšte, lâĂgypte fusionne ces deux pĂŽles dans une mĂȘme figure. Bastet conserve une part de la lionne, mĂȘme lorsquâelle ronronne auprĂšs du berceau. Cette union des contraires en fait un archĂ©type singulier : la paix armĂ©e, la tendresse dangereuse pour qui la menacerait.
Les archĂ©ologues, en fouillant Bubastis et dâautres sites, ont mis au jour des milliers de statuettes de chats momifiĂ©s, dĂ©posĂ©s comme offrandes. Dans ces dĂ©pĂŽts, chaque animal est le double miniature de la dĂ©esse, un fragment de sa vigilance. Les Ăgyptiens ne se contentaient pas de croire, ils matĂ©rialisaient cette relation en donnant un corps Ă la protection. Un chat enterrĂ© prĂšs de Bastet, câĂ©tait une demande : « Que cette maison soit regardĂ©e avec les mĂȘmes yeux que ceux de la dĂ©esse. »
Ce lien entre mythe et pratique montre que Bastet ne flottait pas dans un ciel abstrait. Elle habitait le grain, le berceau, le seuil de la porte. Son origine solaire trouvait ainsi une application concrĂšte : la lumiĂšre nâĂ©tait pas seulement au-dessus, elle Ă©tait censĂ©e circuler dans chaque piĂšce de la maison, Ă travers sa prĂ©sence symbolique.
En Bastet, lâĂgypte a transformĂ© une force cosmique dangereuse en alliĂ©e quotidienne, rappelant que la vraie maĂźtrise ne consiste pas Ă dĂ©truire la violence, mais Ă la rĂ©assigner Ă une tĂąche de protection.
Symbolisme du chat : conscience éveillée et loi intérieure
Le choix du chat comme animal sacrĂ© nâest pas dĂ©coratif. Il condense tout un programme spirituel. Le chat Ă©volue Ă la frontiĂšre : ni tout Ă fait sauvage, ni totalement soumis. Il accepte la proximitĂ© humaine, mais garde une part dâindĂ©pendance inaliĂ©nable. Il fixe sans baisser les yeux, vient quand il veut, repart sans justification. Lâhomme qui observe ce comportement y projette une image de ce quâil nâarrive pas Ă ĂȘtre lui-mĂȘme : libre au milieu des contraintes.
Dans cette perspective, Bastet devient lâallĂ©gorie dâun Ă©tat de conscience oĂč lâindividu nâa plus besoin dâune surveillance extĂ©rieure. Le chat nâobĂ©it pas Ă un ordre, il suit une loi intĂ©rieure. Il se retire avant que la situation ne dĂ©gĂ©nĂšre, il frappe sans sâexcuser si la limite est franchie. Câest la figure dâun centre intact. Loin des foules hystĂ©riques, des Ă©motions collectives qui emportent tout, Bastet montre lâexemple dâune vigilance silencieuse qui ne dĂ©lĂšgue pas son jugement.
Câest ce que les textes initiatiques, bien plus tard, exprimeront sous la forme dâun travail sur soi. LĂ oĂč la majoritĂ© cherche des maĂźtres Ă suivre, des dogmes Ă rĂ©pĂ©ter, la voie de Bastet invite Ă cultiver une clartĂ© intĂ©rieure discrĂšte, mais inflexible. Non pas sâopposer en permanence, mais choisir ses engagements depuis un point calme. Dans les loges qui se rĂ©fĂšrent Ă lâĂgypte symbolique, la figure de la chatte solaire sert souvent dâimage Ă cette maĂźtrise intĂ©rieure : pas de dĂ©monstration, mais une prĂ©sence qui suffit Ă imposer le respect.
En Bastet-chat, se dessine un idĂ©al : avancer dans le monde les griffes rentrĂ©es, mais intactes, les yeux ouverts, le cĆur sans panique.
Le culte de Bastet à Bubastis : joie, musique et spiritualité incarnée
Si les mythes disent ce quâune civilisation pense, les fĂȘtes rĂ©vĂšlent ce quâelle ressent. Le culte de Bastet, la dĂ©esse chatte : douceur divine et fureur solaire Ă Bubastis montre une vĂ©ritĂ© que beaucoup dâĂ©poques prĂ©fĂšrent Ă©touffer : la joie peut ĂȘtre un chemin vers le sacrĂ©. Les chroniques antiques dĂ©crivent des processions sur le Nil, des bateaux remplis de fidĂšles chantant, dansant, buvant, se taquinant dâune rive Ă lâautre. Ă lâapproche de Bubastis, la ferveur redoublait. On ne venait pas se prosterner dans la cendre, mais cĂ©lĂ©brer la vie.
La ville, dĂ©diĂ©e Ă Bastet, Ă©tait un centre religieux majeur. Les pĂšlerins affluaient de tout le pays pour participer au grand festival. Des musiciens jouaient du sistre, instrument associĂ© Ă la dĂ©esse, dont le tintement Ă©tait censĂ© apaiser les puissances dangereuses et Ă©loigner les esprits hostiles. Les prĂȘtres organisaient les rituels, mais lâessentiel ne rĂ©sidait pas dans une Ă©lite savante. CâĂ©tait un culte massivement populaire, oĂč les artisans, les paysans, les femmes et les enfants trouvaient leur place.
Pour comprendre ce dispositif, imaginez une annĂ©e de disette ou dâincertitude. Les rĂ©coltes dĂ©pendent encore du Nil, de la mĂ©tĂ©o, des dĂ©cisions du pouvoir. Les tensions sociales couvent. Le festival de Bubastis offre alors un exutoire structurĂ©. On ne nie pas les difficultĂ©s, mais on les suspend. On entre dans un temps diffĂ©rent, oĂč la musique et le rire deviennent des rituels autant que lâencens. Bastet, protectrice du foyer, se voit honorĂ©e par cette effervescence maĂźtrisĂ©e. LâĂ©nergie qui aurait pu se changer en Ă©meute est redirigĂ©e vers la danse.
Pourtant, il ne faut pas se tromper : ce nâest pas une fĂȘte dĂ©bridĂ©e sans cadre. Tout est rythmĂ© par des processions, des offrandes, des moments de silence. La joie est cadrĂ©e par des gestes symboliques rĂ©pĂ©tĂ©s. Boire du vin, oui, mais devant la statue de la dĂ©esse, sous son regard. Chanter, oui, mais des hymnes qui rappellent sa protection et sa vigilance. Le plaisir est ainsi reliĂ© Ă un sens, il ne se referme pas sur lui-mĂȘme.
Pour clarifier les dimensions du culte, on peut les résumer ainsi :
| Aspect du culte de Bastet | Expression principale | Fonction symbolique |
|---|---|---|
| FĂȘtes de Bubastis | Processions, musique, vin, danse | Transformer lâĂ©nergie collective en joie structurĂ©e |
| Musique (sistre) | Rythmes apaisants et répétitifs | Canaliser la fureur, installer la paix intérieure |
| Offrandes de chats et statuettes | Chats momifiés, amulettes féline | Matérialiser la protection de la déesse au quotidien |
| Rituels domestiques | Prier prÚs du foyer, gestes simples | Lier spiritualité et vie ordinaire |
Un personnage comme Menaset, jeune paysan venu pour la premiĂšre fois Ă Bubastis, comprend Ă travers cette fĂȘte une chose essentielle. Sur le bateau, il rit, il boit, il danse. Mais devant le temple, il se tait soudain, frappĂ© par la vision des milliers de personnes rassemblĂ©es pour honorer une mĂȘme prĂ©sence. Il sent que, sous la lĂ©gĂšretĂ© apparente, se joue un pacte profond : maintenir la communautĂ© unie par quelque chose de plus grand quâelle. Bastet, dans ce contexte, nâest pas une idole de plus ; elle est le nom donnĂ© Ă cette force de cohĂ©sion qui empĂȘche les humains de se dĂ©vorer.
En Bubastis, la spiritualitĂ© de Bastet apparaĂźt pour ce quâelle est : une alliance entre intensitĂ© et mesure. La fĂȘte nâest pas une fuite hors du rĂ©el, mais un rappel de ce que pourrait ĂȘtre une vie humaine moins gouvernĂ©e par la peur. Le culte de Bastet affirme ainsi que la sagesse nâimpose pas le silence des cimetiĂšres ; elle sait rire sans perdre la maĂźtrise.
Temples, statues et pratiques domestiques : Bastet protectrice des foyers
LâautoritĂ© de Bastet, la dĂ©esse chatte : douceur divine et fureur solaire ne se limite pas aux grands temples. Elle sâinfiltre dans les murs des maisons, dans les gestes les plus modestes. Les sanctuaires officiels, comme le grand temple de Bubastis, offraient un cadre monumental : colonnes, obĂ©lisques, cours intĂ©rieures oĂč les processions sâorganisaient. Mais ce dĂ©cor impressionnant nâĂ©tait quâun pĂŽle dâun rĂ©seau beaucoup plus vaste. Partout dans le pays, de petites chapelles, des niches votives, des reprĂ©sentations murales prolongeaient sa prĂ©sence.
Les prĂȘtres et prĂȘtresses de Bastet gĂ©raient les offrandes, veillaient aux rites, interprĂ©taient les signes. Ils formaient un sacerdoce spĂ©cialisĂ© oĂč lâobservation des chats sacrĂ©s jouait un rĂŽle. Le comportement dâun animal, sa maladie ou sa mort pouvaient ĂȘtre lus comme des messages de la dĂ©esse. Non par superstition puĂ©rile, mais parce quâon considĂ©rait le chat comme une interface vivante entre le visible et lâinvisible. LĂ encore, le mythe se faisait mĂ©thode de lecture du rĂ©el.
Dans la sphÚre domestique, la protection de Bastet prenait des formes variées :
- Amulettes en forme de chatte portĂ©es par les femmes enceintes pour sĂ©curiser la grossesse et lâaccouchement.
- Statuettes posées prÚs du lit ou du foyer, censées repousser les esprits malveillants et les maladies nocturnes.
- Rituels simples comme le dĂ©pĂŽt de quelques grains ou dâune goutte de lait, associĂ©s Ă une priĂšre murmurĂ©e.
- Respect strict des chats domestiques, jamais maltraitĂ©s, souvent nourris mĂȘme en temps de pĂ©nurie.
Un dĂ©tail mĂ©rite dâĂȘtre notĂ© : la relation entre Bastet et les enfants. De nombreuses reprĂ©sentations la montrent entourĂ©e de chatons ou associĂ©e Ă des scĂšnes de maternitĂ©. Le message est transparent : la dĂ©esse veille sur les commencements fragiles. Ă chaque naissance, câest lâavenir dâun peuple qui se rejoue. Confier cette tĂąche Ă une chatte, animal Ă la fois vigilant et joueur, souligne lâidĂ©e que la protection ne doit pas tuer la spontanĂ©itĂ©. Bastet garde, mais ne surprotĂšge pas, Ă la maniĂšre dâune mĂšre qui laisse ses petits explorer sans jamais ĂȘtre loin.
Par contraste, les grandes puissances masculines du panthĂ©on â RĂȘ, Amon, Osiris â restent davantage liĂ©es Ă lâordre cosmique, Ă la royautĂ©, au destin posthume. Bastet, elle, se tient au plus prĂšs du quotidien. Elle nâattend pas que la mort fasse son Ćuvre pour agir, elle intervient avant, dans les choix, les accidents, les peurs du soir. En cela, elle anticipe des formes modernes de spiritualitĂ© qui cherchent moins des dogmes que des ressources pour vivre.
Dans nos villes actuelles, les innombrables figurines de chats posĂ©es sur des bureaux ou des Ă©tagĂšres reproduisent sans le savoir ce geste ancien. On leur prĂȘte chance, indĂ©pendance, protection. Le langage a changĂ©, pas le rĂ©flexe. LâhumanitĂ© continue de placer entre elle et le chaos du monde une petite forme fĂ©line, comme si ce visage mi-sĂ©rieux, mi-amusĂ©, pouvait tenir Ă distance le malheur. Bastet hante ces objets anonymes, rappelant que mĂȘme les sociĂ©tĂ©s qui se disent dĂ©senchantĂ©es continuent Ă chercher des gardiennes silencieuses.
Par ses temples, ses statues et ses rites domestiques, Bastet installe lâidĂ©e quâun foyer nâest pas seulement un lieu matĂ©riel, mais un espace sous protection symbolique, oĂč la violence du dehors nâa pas tous les droits.
LâhĂ©ritage de Bastet dans la culture contemporaine : fĂ©minitĂ©, pouvoir et mĂ©moire symbolique
La trace de Bastet, la dĂ©esse chatte : douceur divine et fureur solaire ne sâest pas arrĂȘtĂ©e avec la chute des pharaons. Elle sâest dissoute, reformulĂ©e, recyclĂ©e dans dâautres langages. Lorsque les Grecs pĂ©nĂštrent en Ăgypte, ils rĂ©interprĂštent Bastet Ă travers leurs propres catĂ©gories. On la rapproche de divinitĂ©s lunaires, on lui attribue des traits de dĂ©esses protectrices dĂ©jĂ connues. Une part de son caractĂšre solaire se transforme. Elle glisse du jour vers la nuit, de lâastre nu vers le croissant discret. Cette translation dit beaucoup : chaque Ă©poque tord les symboles pour quâils collent Ă ses peurs et Ă ses dĂ©sirs.
Dans le monde actuel, Bastet ressurgit sous plusieurs visages. Dans la culture populaire, elle inspire des personnages de bandes dessinĂ©es, de jeux vidĂ©o, de films, oĂč la femme-chatte incarne souvent un mĂ©lange de sĂ©duction, dâindĂ©pendance et de danger. On rĂ©duit parfois ce symbole Ă une esthĂ©tique, mais la structure profonde demeure : la fascination pour un fĂ©minin qui ne sâexcuse pas de sa puissance, qui se meut Ă son rythme, qui refuse lâassignation Ă la docilitĂ©.
Les mouvements fĂ©ministes, notamment, se sont emparĂ©s de figures antiques comme Bastet pour proposer dâautres modĂšles de puissance fĂ©minine. Non pas la reproduction des schĂ©mas guerriers masculins, mais une autoritĂ© enracinĂ©e dans la protection, la luciditĂ©, la souverainetĂ© du corps et du foyer. Bastet rappelle que le pouvoir peut consister Ă veiller sans dominer, Ă tenir ensemble douceur et capacitĂ© de riposte. Elle contredit les rĂ©cits qui enferment le fĂ©minin dans la passivitĂ© ou dans la seule sĂ©duction.
Sur un autre plan, les courants Ă©sotĂ©riques et symbolistes contemporains lisent en Bastet une figure de la maĂźtrise Ă©motionnelle. La lionne Sekhmet serait la colĂšre brute, lâego blessĂ©, la pulsion de destruction. La chatte Bastet serait cette mĂȘme Ă©nergie une fois intĂ©grĂ©e, transformĂ©e en vigilance crĂ©atrice. Beaucoup de dĂ©marches de dĂ©veloppement intĂ©rieur, de psychologies modernes, rĂ©inventent ce mĂȘme trajet sous dâautres mots : accueillir lâĂ©motion, la traverser, puis la convertir en action juste. Le vieux mythe continue Ă servir de schĂ©ma, mĂȘme lorsque son nom est oubliĂ©.
Face aux illusions des « nouveaux mythes » â promesses de bonheur immĂ©diat, croyance naĂŻve dans la toute-puissance de la technologie â Bastet oppose une autre logique. Elle montre que la paix ne naĂźt pas de lâĂ©limination des forces sombres, mais de leur recyclage patient. Elle rappelle que le foyer le plus sĂ»r peut redevenir un champ de bataille si la colĂšre quâon y enferme nâest pas travaillĂ©e. Elle se tient ainsi Ă mi-chemin entre psychĂ© individuelle et corps social, comme un avertissement : ce que vous refusez de regarder en vous finira par prendre la forme dâune lionne.
Pourquoi, en 2025, tant de crĂ©ateurs, dâartistes, de communautĂ©s spirituelles reviennent-ils Ă ces archĂ©types antiques ? Parce que les rĂ©cits modernes se fissurent. Parce que les slogans de progrĂšs ne suffisent plus Ă expliquer la violence, la fatigue, le sentiment dâĂȘtre dĂ©vorĂ© par des forces impersonnelles. Bastet propose un autre rĂ©cit : celui dâune puissance qui choisit de ne plus tout brĂ»ler. Celui dâune lumiĂšre qui a connu la folie et en est revenue. Ce rĂ©cit, les hommes dâaujourdâhui en ont autant besoin que ceux des rives du Nil.
En filigrane, Bastet juge notre Ă©poque. Elle mesure la distance entre les discours dâapaisement et la rĂ©alitĂ© des passions dĂ©chaĂźnĂ©es. Elle invite chacun Ă se demander : que faire de sa propre Sekhmet intĂ©rieure ? Fuir, refouler, ou transformer ? Ă cette question, les temples sont tombĂ©s, mais la rĂ©ponse demeure : seule la transmutation de la fureur en conscience peut empĂȘcher la rĂ©pĂ©tition des mĂȘmes dĂ©sastres sous des noms neufs.
Qui est réellement Bastet dans la mythologie égyptienne ?
Bastet est une dĂ©esse Ă©gyptienne associĂ©e au soleil, au foyer, Ă la protection, Ă la maternitĂ© et aux chats. Dâabord proche des dĂ©esses-lionnes guerriĂšres, elle a progressivement pris la forme dâune chatte ou dâune femme Ă tĂȘte de chat. Elle incarne la transformation dâune force destructrice, reprĂ©sentĂ©e par la lionne Sekhmet, en douceur protectrice. Son rĂŽle central est de veiller sur les foyers, les femmes enceintes, les enfants et de tenir Ă distance les menaces invisibles, quâelles soient physiques ou spirituelles.
Pourquoi les Ăgyptiens considĂ©raient-ils le chat comme sacrĂ© ?
Le chat Ă©tait sacrĂ© car il protĂ©geait les rĂ©serves de nourriture en chassant les rongeurs, ce qui avait un impact direct sur la survie du peuple. Son comportement, Ă la fois indĂ©pendant et proche de lâhomme, en faisait aussi un symbole de conscience libre et vigilante. En lâassociant Ă Bastet, les Ăgyptiens voyaient dans le chat un intermĂ©diaire entre le visible et lâinvisible. Le maltraiter Ă©tait perçu comme un affront direct Ă la dĂ©esse, dâoĂč les momifications de chats et leur prĂ©sence massive dans les offrandes.
Quel était le rÎle du temple de Bubastis dans le culte de Bastet ?
Le temple de Bubastis Ă©tait le centre majeur du culte de Bastet. Il accueillait chaque annĂ©e un grand festival rassemblant des foules venues de tout le pays, dans une atmosphĂšre de musique, de danse et de rĂ©jouissances encadrĂ©es par des rites. Ce sanctuaire monumental servait de point de convergence pour les dĂ©votions publiques, les processions et les offrandes, tout en renforçant lâidĂ©e que la joie, lorsquâelle est structurĂ©e par le rituel, peut devenir un moyen dâhonorer le sacrĂ© et de maintenir la cohĂ©sion sociale.
Comment Bastet est-elle perçue dans la culture moderne ?
Aujourdâhui, Bastet est souvent perçue comme un symbole de protection, de fĂ©minitĂ© autonome et de sagesse intĂ©rieure. Elle inspire des Ćuvres dâart, des personnages de fiction et certains mouvements spirituels ou fĂ©ministes qui y voient un modĂšle de puissance douce mais inĂ©branlable. MĂȘme lorsque son nom nâest pas Ă©voquĂ©, son archĂ©type survit dans la fascination contemporaine pour les figures de femmes fĂ©lines, indĂ©pendantes et mystĂ©rieuses, ainsi que dans la place affective donnĂ©e aux chats dans de nombreux foyers.
En quoi Bastet peut-elle encore nous parler aujourdâhui ?
Bastet reste actuelle parce quâelle exprime un processus que chaque individu traverse : transformer des Ă©motions violentes en forces crĂ©atrices. Elle rappelle que la douceur vĂ©ritable naĂźt dâune puissance maĂźtrisĂ©e, non dâune faiblesse. Dans un monde marquĂ© par les excĂšs, les radicalitĂ©s et les colĂšres collectives, son mythe propose une voie dâintĂ©gration : ne plus nier la fureur, mais la travailler jusquâĂ ce quâelle devienne lumiĂšre intĂ©rieure. Elle offre ainsi un cadre symbolique pour comprendre et apaiser les tensions personnelles et sociales.


